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La fuite

    C'est la barque où s'enfuit une amoureuse reine
    Le vieux roi magnifique est venu près des flots ;
    Son manteau merveilleux à chaque pas égrène
    Quelque bijou tintant au rythme des sanglots.

    La chanson des rameurs sur les vagues se traîne
    La reine et son amant l'écoutent les yeux clos,
    Sans crainte d'un récif ni d'un chant de sirène
    Qui s'incantent peut-être au chœur des matelots.

    Horreur ! horreur de nous des joyaux, des squelettes
    Coulés au fond des mers où surnagèrent tant
    De fleurs, de cheveux roux et de rames flottant
    Parmi les troupes de méduses violettes.

    L'heur des fuites est sombre et violet d'effroi.
    Tant de gemmes tombaient du manteau du vieux roi.

    Trente ans debout à la frontière
    J'arrêtai le contrebandier
    Je palpai la contrebandière.
    Puis quand je devins brigadier,
    Un soir dans le train de dix heures
    D'un homme correctement mis
    Voyageant avec un permis
    Je tâtai les gibbosités postérieures.

    Ô temps lointains ! lointaines gares
    Que le gaz éclairait bien mal !
    Le monsieur transportait quatre mille cigares
    Je lui dressai procès-verbal.
    Ce temps passa. Des noms : Gauguin, Cézanne
    Me hantaient. Pour leur art, je laissai la douane.

    Et gardant ce surnom : le douanier
    Je ne suis pas, des peintres, le dernier,
    Or, dans mon souvenir, une fenêtre
    S'est ouverte. Je viens de reconnaître
    L'ancien voyageur fier de s'être vengé
    Parce que de ma faute il a mal voyagé

Guillaume Apollinaire(1880 - 1918)

Poèmes de Guillaume Apollinaire