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Le brasier

    À Paul-Napoléon Roinard.

    J'AI jeté dans le noble feu
    Que je transporte et que j'adore
    De vives mains et même feu
    Ce Passé ces têtes de morts
    Flamme je fais ce que tu veux

    Le galop soudain des étoiles
    N'étant que ce qui deviendra
    Se mêle au hennissement mâle
    Des centaures dans leurs haras
    Et des grand'plaintes végétales

    Où sont ces têtes que j'avais
    Où est Dieu de ma jeunesse
    L'amour est devenu mauvais
    Qu'au brasier les flammes renaissent
    Mon âme au soleil se dévêt

    Dans la plaine ont poussé des flammes
    Nos cœurs pendent aux citronniers
    Les têtes coupées qui m'acclament
    Et les astres qui ont saigné
    Ne sont que des têtes de femmes

    Le fleuve épinglé sur la ville
    T'y fixe comme un vêtement
    Partant à l'amphion docile
    Tu subis tous les tons charmants
    Qui rendent les pierres agiles

    JE flambe dans le brasier à l'ardeur adorable
    Et les mains des croyants m'y rejettent multiple innombrablement
    Les membres des intercis flambent auprès de moi
    Éloignez du brasier les ossements
    Je suffis pour l'éternité à entretenir le feu de mes délices
    Et des oiseaux protègent de leurs ailes ma face et le soleil

    Ô Mémoire Combien de races qui forlignent
    Des Tyndarides aux vipères ardentes de mon bonheur
    Et les serpents ne sont-ils que les cous des cygnes
    Qui étaient immortels et n'étaient pas chanteurs
    Voici ma vie renouvelée
    De grands vaisseaux passent et repassent
    Je trempe une fois encore mes mains dans l'Océan

    Voici le paquebot et ma vie renouvelée
    Ses flammes sont immenses
    Il n'y a plus rien de commun entre moi
    Et ceux qui craignent les brûlures

    Descendant des hauteurs où pense la lumière
    Jardins rouant plus haut que tous les ciels mobiles
    L'avenir masqué flambe en traversant les cieux

    Nous attendons ton bon plaisir ô mon amie
    J'ose à peine regarder la divine mascarade
    Quand bleuira sur l'horizon la Désirade

    Au-delà de notre atmosphère s'élève un théâtre
    Que construisit le ver Zamir sans instrument
    Puis le soleil revint ensoleiller les places
    D'une ville marine apparue contremont
    Sur les toits se reposaient les colombes lasses

    Et le troupeau de sphinx regagne la sphingerie
    À petits pas Il orra le chant du pâtre toute la vie
    Là-haut le théâtre est bâti avec le feu solide
    Comme les astres dont se nourrit le vide

    Et voici le spectacle
    Et pour toujours je suis assis dans un fauteuil
    Ma tête mes genoux mes coudes vain pentacle
    Les flammes ont poussé sur moi comme des feuilles

    Des acteurs inhumains claires bêtes nouvelles
    Donnent des ordres aux hommes apprivoisés
    Terre
    Ô Déchirée que les fleuves ont reprisée

    J'aimerais mieux nuit et jour dans les sphingeries
    Vouloir savoir pour qu'enfin on m'y dévorât

Guillaume Apollinaire(1880 - 1918)

Poèmes de Guillaume Apollinaire