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poeme

Le larron

    CHOUR
    Maraudeur étranger malheureux malhabile
    Voleur voleur que ne demandais-tu ces fruits
    Mais puisque tu as faim que tu es en exil
    Il pleure il est barbare et bon pardonnez-lui

    LARRON
    Je confesse le vol des fruits doux des fruits mûrs
    Mais ce n'est pas l'exil que je viens simuler
    Et sachez que j'attends de moyennes tortures
    Injustes si je rends tout ce que j'ai volé

    VIEILLARD
    Issu de l'écume des mers comme Aphrodite
    Sois docile puisque tu es beau Naufragé
    Vois les sages te font des gestes socratiques
    Vous parlerez d'amour quand il aura mangé

    CHOUR
    Maraudeur étranger malhabile et malade
    Ton père fut un sphinx et ta mère une nuit
    Qui charma de lueurs Zacinthe et les Cyclades
    As-tu feint d'avoir faim quand tu volas les fruits

    LARRON
    Possesseurs de fruits mûrs que dirai-je aux insultes
    Ouïr ta voix ligure en nénie ô maman
    Puisqu'ils n'eurent enfin la pubère et l'adulte
    De prétexte sinon de s'aimer nuitamment

    Il y avait des fruits tout ronds comme des âmes
    Et des amandes de pomme de pin jonchaient
    Votre jardin marin où j'ai laissé mes rames
    Et mon couteau punique au pied de ce pêcher

    Les citrons couleur d'huile et à saveur d'eau froide
    Pendaient parmi les fleurs des citronniers tordus
    Les oiseaux de leur bec ont blessé vos grenades
    Et presque toutes les figues étaient fendues

    L'ACTEUR
    Il entra dans la salle aux fresques qui figurent
    L'inceste solaire et nocturne dans les nues
    Assieds-toi là pour mieux ouïr les voix ligures
    Au son des cinyres des Lydiennes nues

    Or les hommes ayant des masques de théâtre
    Et les femmes ayant des colliers où pendait
    La pierre prise au foie d'un vieux coq de Tanagre
    Parlaient entre eux le langage de la Chaldée

    Les autans langoureux dehors feignaient l'automne
    Les convives c'étaient tant de couples d'amants
    Qui dirent tour à tour Voleur je te pardonne
    Reçois d'abord le sel puis le pain de froment

    Le brouet qui froidit sera fade à tes lèvres
    Mais l'outre en peau de bouc maintient frais le vinblanc
    Par ironie veux-tu qu'on serve un plat de fèves
    Ou des beignets de fleurs trempés dans du miel blond

    Une femme lui dit Tu n'invoques personne
    Crois-tu donc au hasard qui coule au sablier
    Voleur connais-tu mieux les lois malgré les hommes
    Veux-tu le talisman heureux de mon collier

    Larron des fruits tourne vers moi tes yeux Lyriques
    Emplissez de noix la besace du héros
    Il est plus noble que le paon pythagorique
    Le dauphin la vipère mâle ou le taureau

    Qui donc es-tu toi qui nous vins grâce au vent scythe
    Il en est tant venu par la route ou la mer
    Conquérants égarés qui s'éloignaient trop vite
    Colonnes de clins d'yeux qui fuyaient aux éclairs

    CHOUR
    Un homme bègue ayant au front deux jets de flammes
    Passa menant un peuple infime pour l'orgueil
    De manger chaque jour les cailles et la manne
    Et d'avoir vu la mer ouverte comme un oil

    Les puiseurs d'eau barbus coiffés de bandelettes
    Noires et blanches contre les maux et les sorts
    Revenaient de l'Euphrate et les yeux des chouettes
    Attiraient quelquefois les chercheurs de trésors

    Cet insecte jaseur ô poète barbare
    Ragagnait chastement à l'heure d'y mourir
    La forêt précieuse aux oiseaux gemmipares
    Aux crapauds que l'azur et les sources mûrirent

    Un triomphe passait gémir sous l'arc-en-ciel
    Avec de blêmes laurés debout dans les chars
    Les statues suant les scurriles les agnelles
    Et l'angoisse rauque des paonnes et des jars

    Les veuves précédaient en égrenant des grappes
    Les évêques noirs révérant sans le savoir
    Au triangle isocèle ouvert au mors des chapes
    Pallas et chantaient l'hymne à la belle mais noire

    Les chevaucheurs nous jetèrent dans l'avenir
    Les alcancies pleines de cendre ou bien de fleurs
    Nous aurons des baisers florentins sans le dire
    Mais au jardin ce soir tu vins sage et voleur

    Ceux de ta secte adorent-ils un signe obscène
    Belphégor le soleil le silence ou le chien
    Cette furtive ardeur des serpents qui s'entr'aiment

    L'ACTEUR
    Et le larron des fruits cria Je suis chrétien

    CHOUR
    Ah ! Ah ! les colliers tinteront cherront les masques
    Va-t'en va-t'en contre le feu l'ombre prévaut
    Ah ! Ah ! le larron de gauche dans la bourrasque
    Rira de toi comme hennissent les chevaux

    FEMME
    Larron des fruits tourne vers moi tes yeux Lyriques
    Emplissez de noix la besace du héros
    Il est plus noble que le paon pythagorique
    Le dauphin la vipère mâle ou le taureau

    CHOUR
    Ah ! Ah ! nous secouerons toute la nuit les sistres
    La voix ligure était-ce donc un talisman
    Et si tu n'es pas de droite tu es sinistre
    Comme une tache grise ou le pressentiment

    Puisque l'absolu choit la chute est une preuve
    Qui double devient triple avant d'avoir été
    Nous avouons que les grossesses nous émeuvent
    Les ventres pourront seuls nier l'aséité

    Vois les vases sont pleins d'humides fleurs morales
    Va-t'en mais dénudé puisque tout est à nous
    Ouïs du chour des vents les cadences plagales
    Et prends l'arc pour tuer l'unicorne ou le gnou

    L'ombre équivoque et tendre est le deuil de ta chair
    Et sombre elle est humaine et puis la nôtre aussi
    Va-t'en le crépuscule a des lueurs légères
    Et puis aucun de nous ne croirait tes récits

    Il brillait et attirait comme la pantaure
    Que n'avait-il la voix et les jupes d'Orphée
    Et les femmes la nuit feignant d'être des taures
    L'eussent aimé comme on l'aima puisqu'en effet

    Il était pâle il était beau comme un roi ladre
    Que n'avait-il la voix et les jupes d'Orphée
    La pierre prise au foie d'un vieux coq de Tanagre
    Au lieu du roseau triste et du funèbre faix

    Que n'alla-t-il vivre à la cour du roi d'Edesse
    Maigre et magique il eût scruté le firmament
    Pâle et magique il eût aimé des poétesses
    Juste et magique il eût épargné les démons

    Va-t'en errer crédule et roux avec ton ombre
    Soit ! la triade est mâle et tu es vierge et froid
    Le tact est relatif mais la vue est oblongue
    Tu n'as de signe que le signe de la croix

Guillaume Apollinaire(1880 - 1918)

Poèmes de Guillaume Apollinaire