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poeme

Le trésor

    Jadis, jadis vivait m'amie
    Une princesse aux cheveux d'or,
    En quel pays ? Ne le sais mie.
    Jadis, jadis vivait m'amie
    La fée Yra, son ennemie,
    Qui changea la belle en trésor.
    Jadis, jadis vivait m'amie
    Une princesse aux cheveux d'or.

    En un trésor caché sous terre
    La fée, au temps bleu des lilas,
    Changea la belle de naguère
    En un trésor caché sous terre.
    La belle pleurait solitaire :
    Elle pleurait sans nul soulas
    En un trésor caché sous terre :
    C'était au temps bleu des lilas.

    De la mousse je suis la fée,
    Dit à la princesse une voix,
    Une voix très douce, étouffée,
    De la mousse je suis la fée,
    D'un bleu myosotis coiffée.
    Pauvrette ! En quel état vous vois !
    De la mousse je suis la fée,
    Dit à la princesse une voix.

    Par un homme jeune et fidèle
    Seront sauvés vos yeux taris,
    Dit cette fée à voix d'oiselle
    Par un homme jeune et fidèle
    Qui vous désirera, ma belle,
    Et pour l'or n'aura que mépris,
    Par un homme jeune et fidèle
    Seront sauvés vos yeux taris.

    Cent ans attendit la princesse.
    Un jour quelqu'un passa par là,
    Chevalier de haute prouesse,
    - Cent ans l'attendit la princesse -
    Brave, invaincu, mais sans richesse,
    Qui prit tout l'or et s'en alla.
    Cent ans attendit la princesse.
    Un jour quelqu'un passa par là.

    La pauvre princesse invisible
    Fut mise en la bourse de cuir ;
    La pauvre princesse sensible,
    Adorable, mais invisible.
    Un brigand tua l'invincible,
    Prit la bourse et se mit à fuir.
    La pauvre princesse invisible
    Pleurait dans la bourse de cuir.

    Elle pleurait d'être en servage
    Et de ne pas pouvoir crier.
    Le grand vent du Nord faisait rage
    - Elle pleurait d'être en servage -
    Mais un homme vit le carnage,
    Vint et tua le meurtrier.
    Elle pleurait d'être en servage
    Et de ne pas pouvoir crier.

    Le sauveur, un pauvre poète,
    Dit : " Onc homme tel trésor eut ;
    Mais j'en fais fi ! Je suis très bête,
    Un sauveur, un pauvre poète !
    J'aimerais mieux une fillette. "
    Alors la princesse apparut.
    Le sauveur, un pauvre poète,
    Dit : " Onc homme tel trésor eut ! "

    Et voilà l'histoire, m'amie,
    De la princesse aux cheveux d'or.
    Quel est son nom ? Ne le sais mie.
    Et voilà l'histoire, m'amie,
    De celle que son ennemie
    Changea jadis en un trésor.
    Et voilà l'histoire, m'amie,
    De la Princesse aux cheveux d'or.

    JE vis un soir la zézayante
    Et presque jamais souriante
    Et renversée, un soir, hiante,
    Pour quel ennui ? Vers quel soulas ?
    S'ennuyait-elle d'une gemme,
    D'une fleur bleue ou de l'angemme
    Ou plaçait-elle ceci : " J'aime ! "
    Trop au hasard des tombolas !

    Et dans le soir qui tout nous souille
    Le fauteuil qui d'ombre se brouille
    Avait des formes de grenouille
    Près du lit, tel un tombeau bas.
    Ainsi bayèrent par le monde
    Viviane auprès de l'immonde
    Et dans son palais Rosemonde
    Qui fut moins belle que Linda.
    Et moi qui tiens en ma cervelle
    La vérité plus que nouvelle
    Et que, plaise à Dieu, je révèle
    De l'enchanteur qui la farda
    Du sens des énigmes sereines,
    Moi, qui sais des lais pour les reines
    Et des chansons pour les sirènes,
    Ce bayement long m'éluda.
    Car au cœur proche et que je craigne
    Ce cœur que l'ennui tendre étreigne.
    Au cœur l'ennui c'est l'interrègne
    À ne pas être l'interroi.
    Ses mains alors s'épanouirent
    Comme des fleurs de soir et luirent,
    Ses yeux dont soudain s'éblouirent
    Les dormantes glaces d'effroi
    De voir bayer leur sombre dame,
    Princesse ou fée ou simple femme
    Ayant avec la mort dans l'âme
    La grenouille pour tout arroi.

    Lorsque vous partirez, je ne vous dirai rien,
    Mais après tout l'été, quand reviendra l'automne,
    Si vous n'êtes pas là, zézayante, ô Madone,
    J'irai gémir à votre porte comme un chien.
    Lorsque vous partirez, je ne vous dirai rien.

    Et tout me parlera de vous pendant l'absence :
    Des joyaux vus chez les orfèvres transmueront
    Leurs gemmes en mauvais prestiges qui seront
    Vos ongles et vos dents comme en réminiscence
    Et tout me parlera de vous pendant l'absence.

    Et, chaque nuit sans lune attestant vos cheveux,
    Je verrai votre ennui dans chaque nuit lunaire ;
    Mais puisque vous partez l'on me soit débonnaire
    Et fixe mon étoile et l'astre que je veux
    Dans chaque nuit sans lune attestant vos cheveux.

    Quand l'automne viendra, le bruit des feuilles sèches
    Sera de votre robe un peu le bruissement.
    Pour moi, vous sentant proche, en un pressentiment,
    La feuille chue aura le parfum des fleurs fraîches,
    Quand l'automne viendra hanté de feuilles sèches.

    Madone au Nonchaloir, lorsque vous partirez,
    Tout parlera de vous, même la feuille morte,
    Sauf vous qui femme et mobile comme la porte
    Avant le premier soir de danse m'oublierez,
    Madone au Nonchaloir, lorsque vous partirez.

Guillaume Apollinaire(1880 - 1918)

Poèmes de Guillaume Apollinaire