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Les attentives

    Celui qui doit mourir ce soir dans les tranchées
    C'est un petit soldat dont l'œil indolemment
    Observe tout le jour aux créneaux de ciment
    Les Gloires qui de nuit y furent accrochées
    Celui qui doit mourir ce soir dans les tranchées
    C'est un petit soldat mon frère et mon amant

    Et puisqu'il doit mourir je veux me faire belle
    Je veux de mes seins nus allumer les flambeaux
    Je veux de mes grands yeux fondre l'étang qui gèle
    Et mes hanches je veux qu'elles soient des tombeaux
    Car puisqu'il doit mourir je veux me faire belle
    Dans l'inceste et la mort ces deux gestes si beaux

    Les vaches du couchant meuglent toutes leurs roses
    L'Aile de l'oiseau bleu m'évente doucement
    C'est l'heure de l'Amour aux ardentes névroses
    C'est l'heure de la Mort et du dernier serment
    Celui qui doit périr comme meurent les roses
    C'est un petit soldat mon frère et mon amant

    *

    Mais Madame écoutez-moi donc
    Vous perdez quelque chose
    - C'est mon cœur pas grand-chose
    Ramassez-le donc
    Je l'ai donné je l'ai repris
    Il fut là-bas dans les tranchées
    Il est ici j'en ris j'en ris
    Des belles amours que la mort a fauchées

    *

    L'espoir flambe ce soir comme un pauvre village
    Et qu'importe le Bagne ou bien le Paradis
    L'amour qui surviendra me plaira davantage
    Et mes yeux sont-ce pas de merveilleux bandits

    Puis quand malgré l'amour un soir je serai veille
    Je me rappellerai la mer les orangers
    Et cette pauvre croix sous laquelle sommeille
    Un cœur parmi des cœurs que la gloire a vengé

    *

    Et tandis que la lune luit
    Le coeur chante et rechante lui
    Mesdames et Mesdemoiselles
    Je suis bien mort Ah quel ennui
    Et ma maîtresse que est-elle
    Morte en m'aimant la nuit

    *

    Mais écoutez-les donc les mélopées
    Ces médailles si bien frappées
    Ces cloches d'or sonnant des glas
    Tous les muguets tous les lilas

    Ce sont les morts qui se relèvent
    Ce sont les soldats morts qui rêvent
    Aux amours qui s'en sont allés
        Immaculés
        Et désolés

    *

    - Le 13 mai de cette année
    Tandis que dans les boyaux blancs
    Tu passais masquée ô mon âme
    Tu vis tout d'un coup les morts et les vivants
    Ceux de l'arrière ceux de l'avant
    Les soldats et les femmes
    Un train passe rapide dans la prairie en Amérique
    Les vers luisants brillent cette nuit autour de moi
    Comme si la prairie était le miroir du ciel
    Étoilé
    Et justement un ver luisant palpite
    Sous l'Étoile nommée Lou
    Et c'est de mon amour le corps spirituel
    Et terrestre
    Et l'âme mystique
    Et céleste

Guillaume Apollinaire(1880 - 1918)

Poèmes de Guillaume Apollinaire