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poeme

Palais

    À Max Jacob.

    Vers le palais de Rosemonde au fond du Rêve
    Mes rêveuses pensées pieds nus vont en soirée
    Le palais don du roi comme un roi nu s'élève
    Des chairs fouettées des roses de la roseraie

    On voit venir au fond du jardin mes pensées
    Qui sourient du concert joué par les grenouilles
    Elles ont envie des cyprès grandes quenouilles
    Et le soleil miroir des roses s'est brisé

    Le stigmate sanglant des mains contre les vitres
    Quel archer mal blessé du couchant le troua
    La résine qui rend amer le vin de Chypre
    Ma bouche aux agapes d'agneau blanc l'éprouva

    Sur les genoux pointus du monarque adultère
    Sur le mai de son âge et sur son trente et un
    Madame Rosemonde roule avec mystère
    Ses petits yeux tout ronds pareils aux yeux des Huns

    Dame de mes pensées au cul de perle fine
    Dont ni perle ni cul n'égale l'orient
    Qui donc attendez-vous
    De rêveuses pensées en marche à l'Orient
    Mes plus belles voisines

    Toc toc Entrez dans l'antichambre le jour baisse
    La veilleuse dans l'ombre est un bijou d'or cuit
    Pendez vos têtes aux patères par les tresses
    Le ciel presque nocturne a des lueurs d'aiguilles

    On entra dans la salle à manger les narines
    Reniflaient une odeur de graisse et de graillon
    On eut vingt potages dont trois couleurs d'urine
    Et le roi prit deux œufs pochés dans du bouillon

    Puis les marmitons apportèrent les viandes
    Des rôtis de pensées mortes dans mon cerveau
    Mes beaux rêves mort-nés en tranches bien saignantes
    Et mes souvenirs faisandés en godiveaux

    Or ces pensées mortes depuis des millénaires
    Avaient le fade goût des grands mammouths gelés
    Les os ou songe-creux venaient des ossuaires
    En danse macabre aux plis de mon cervelet

    Et tous ces mets criaient des choses nonpareilles
    Mais nom de Dieu !
    Ventre affamé n'a pas d'oreilles
    Et les convives mastiquaient à qui mieux mieux

    Ah ! nom de Dieu ! qu'ont donc crié ces entrecôtes
    Ces grands pâtés ces os à moelle et mirotons
    Langues de feu où sont-elles mes pentecôtes
    Pour mes pensées de tous pays de tous les temps

Guillaume Apollinaire (1880 - 1918)

Poèmes de Guillaume Apollinaire