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Poèmes divers

    Les villes sont pleines d'amour et de douleur
    Deux plantes dont la mort est la commune fleur

    Les villes que j'ai vues vivaient comme des folles
    Et vomissaient le soir le soleil des journées
    Les villes chaque nuit [ceignant] une auréole
    Feignaient d'être soleil tant qu'il n'était point né

    Villes chair de ma vie j'aime vos nuits solaires
    J'ai promené mon cœur par vos soirs blancs et froids
    Et libre jusqu'au jour j'ai foulé sans colère
    Les ombres projetées par les statues des rois

    Les meurt-de-faim les sans-le-sou voyaient la lune
    Étalée dans le ciel comme un œuf sur le plat
    Les becs de gaz pissaient leur flamme au clair de lune
    Les croque-morts avec des bocks tintaient des glas

    Ô maisons dans la nuit Ô lits pleins de râles
    De la mort des amants du bonheur des époux
    Punaise au ciel du lit simulant une étoile
    Et la bête à deux dos qui se tâtait le pouls

    Au clair nul des bougies tombaient vaille que vaille
    Des faux cols sur des flots de jupes mal brossées
    Des couples d'ombres célébraient leurs accordailles
    À mes yeux de dehors dans les rez-de-chaussée

    La ville aux feux de nuit semblait un archipel
    Des femmes demandaient l'amour et la dulie
    Mais à mes yeux de mâle horreur je me rappelle
    Les passantes du soir n'étaient jamais jolies

    Puis le jour revenait mais parfois sans soleil
    Dresser les maisons côte à côte au bord des rues
    Où s'égarent nos vies aux autres vies pareilles
    Les vies traînant leur ombre en passant dans la rue

    Intercalées dans l'an c'étaient des journées veuves
    Les vendredis sanglants et lents d'enterrements
    Des blancs et des tout noirs venus des cieux qui pleurent
    Quand la femme du diable a battu son amant

    Le jour s'arrondissait le bon œuvre de pierre
    Les remparts entouraient les murs et les maisons
    La gloire des statues les croix des cimetières
    La rumeur des hommes en oraison

    L'oraison innombrable de la vie qui se grise
    Qui veut vivre et mourir dans l'amour et l'effroi
    Les usines sont plus hautes que les églises
    Et les villes le jour ce sont des soleils froids

    Les statues endormies qui rêvent toutes blanches
    Dont la soif de mourir jamais ne s'étanche
    Les statues blêmies
    Des amours souriants et gelés
    Sous la neige qui tombe
    Songent aux tombes
    D'amours morts
    Enterrés sur un lit de roses et de verveines
    En quelque Cythère lointaine
    Il somnole en leur marbre un vague souvenir
    D'Hellas endormie
    Sous la Séléné d'or

    Ô mon âme
    Que jamais ne t'étreigne
    Le froid des Paros
    Sous les soleils d'avril

    Les guêpes et les mouches
    Ont trompetté leur haine
    J'ai la tristesse d'être à la merci d'instincts
    Les vers visqueux me guettent
    Avec le froid des pluies
    Sous terre mon cadavre verdi
    Sera ma vie lointaine
    Et rien
    Un corps décomposé
    Fleurissant en fleurs tôt fanées
    Fleurs des fiancés
    Des trépassés

    C'est le destin des hommes
    Des hommes qu'on oublie
    Guillaume
    Oui

    Léo Larguier soldat mystique ô brancardier
    Les vers du caporal plaisent au brigadier
    Ce secteur 114 est-ce Arras ou peut-être
    La ferme Choléra sinon le bois Le Prêtre
    Ici la fraise est rouge et les lilas sont morts
    La couleuvre se love en la paille où je dors
    Quand s'éveille la nuit la Champagne tonnante
    La nuit quand les convois traînent leur rumeur lente
    À travers la Champagne où tonnent nos canons
    Et les flacons ambrés
    Et si nous revenons
    Dieu Que de souvenirs
    Je suis gai pas malade
    Et comme fut Ronsard le chef d'une brigade
    Agent de liaison je suis bien aguerri
    J'ai l'air mâle et fier j'ai même un peu maigri
    Des braves fantassins je connais les tranchées
    Où les Gloires de pourpre aux créneaux attachées
    Attendent que nos bleus les violent enfin
    Au nez de Rosalie épouse du biffin

    Êtes-vous en Argonne ou dans le Labyrinthe
    Moi je ne suis pas loin de Reims la ville sainte
    Je vis dans un marais au fond d'un bois touffu
    Ma hutte est en roseaux et ma table est un fût
    Que j'ai trouvé naguère au bord du Bras de Vesle
    Le rossignol garrule et l'Amour renouvelle
    Cependant que l'obus rapace en miaulant
    Abat le sapin noir ou le bouleau si blanc
    Mais quand reverrons-nous une femme une chambre
    Quand nous reverrons-nous Mais sera-ce en septembre
    Adieu Léo Larguier ça barde en ce moment
    105 et 305 le beau bombardement
    Je songe au mois de mars à vous à la tour Magne
    Où est mon chocolat Les rats ont tout croqué
    Et j'ajoute mon cher style communiqué
    Duel d'artillerie à minuit en Champagne

Guillaume Apollinaire(1880 - 1918)

Poèmes de Guillaume Apollinaire