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Voie lactée ôsoeur lumineuse...

 

      Voie lactée ô soeur lumineuse
      Des blancs ruisseaux de Chanaan
      Et des corps blancs des amoureuses
      Nageurs morts suivrons nous d'ahan
      Ton cours vers d'autres nébuleuses

      Regret des yeux de la putain
      Et belle comme une panthère
      Amour vos baisers florentins
      Avaient une saveur amère
      Qui a rebuté nos destins

      Ses regards laissaient une traîne
      D'étoiles dans les soirs tremblants
      Dans ses yeux nageaient les sirènes
      Et nos baisers mordus sanglants
      Faisaient pleurer nos fées marraines

      Mais en vérité je l'attends
      Avec mon coeur avec mon âme
      Et sur le pont des Reviens-t'en
      Si jamais reviens cette femme
      Je lui dirai Je suis content

      Mon coeur et ma tête se vident
      Tout le ciel s'écoule par eux
      O mes tonneaux des Danaïdes
      Comment faire pour être heureux
      Comme un petit enfant candide

      Je ne veux jamais l'oublier
      Ma colombe ma blanche rade
      O marguerite exfoliée
      Mon île au loin ma Désirade
      Ma rose mon giroflier

      Les satyres et les pyraustes
      Les égypans les feux follets
      Et les destins damnés ou faustes
      La corde au cou comme à Calais
      Sur ma douleur quel holocauste

      Douleur qui doubles les destins
      La licorne et le capricorne
      Mon âme et mon corps incertains
      Te fuient ô bûcher divin qu'ornent
      Des astres des fleurs du matin

      Malheur dieu pâle aux yeux d'ivoire
      Tes prêtres fous t'ont-ils paré
      Tes victimes en robe noire
      Ont-elles vainement pleuré
      Malheur dieu qu'il ne faut pas croire

      Et toi qui me suis en rampant
      Dieu de mes dieux morts en automne
      Tu mesures combien d’empans
      J'ai droit que la terre me donne
      O mon ombre ô mon vieux serpent

      Au soleil parce que tu l'aimes
      Je t'ai mené souviens-t'en bien
      Ténébreuse épouse que j'aime
      Tu es à moi en n'étant rien
      O mon ombre en deuil de moi-même

      L'hiver est mort tout enneigé
      On a brûlé les ruches blanches
      Dans les jardins et les vergers
      Les oiseaux chantent sur les branches
      Le printemps clair l'Avril léger

      Mort d'immortels argyraspides
      La neige aux boucliers d'argent
      Fuit les dendrophores livides
      Du printemps cher aux pauvres gens
      Qui ressourient les yeux humides

      Mais moi j'ai le coeur aussi gros
      Qu'un cul de dame damascène
      O mon amour je t'aimais trop
      Et maintenant j'ai trop de peine
      Les sept épées hors du fourreau

      Sept épées de mélancolie
      Sans morfil ô claires douleurs
      Sont dans mon coeur et la folie
      Veux raisonner pour mon malheur
      Comment voulez-vous que j'oublie

      Guillaume Apollinaire (1880 - 1918)

      Poèmes de Guillaume Apollinaire