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IX- La Messe de Minuit
Christus natus est nobis; venite, adoremus. 
La Nativité de Notre-Seigneur Jésus-Christ. 

Nous n'avons ni feu ni lieu. 
Donnez-nous la part à Dieu. 
Vieille chanson. 

La bonne dame et le noble sire de Chateauvieux rompaient le pain du 
soir, Monsieur l'aumônier bénissant la table, quand se fit entendre un 
bruit de sabots à la porte. C'étaient de petits enfants qui chantèrent 
un noël. 


- « Bonne dame de Chateauvieux, hâtez-vous, la foule s'achemine à 
l'église; hâtez-vous, de peur que le cierge qui brûle sur votre 
prie-Dieu, dans la chapelle des Anges, ne s'éteigne en étoilant de ses 
gouttes de cire les heures de vélin et le carreau de velours! - voici 
la première volée des cloches pour la messe de minuit! 



- Noble sire de Chateauvieux, hâtez-vous, de peur que le sire de 
Grugel, qui passe là-bas avec sa lanterne de papier, n'aille s'emparer 
en votre absence de la place d'honneur au banc des confrères de 
Saint-Antoine! voici la seconde volée des cloches pour la messe de 
minuit! 



- Monsieur l'aumônier, hâtez-vous! les orgues grondent, les chanoines 
psalmodient, hâtez-vous, les fidèles sont assemblés et vous êtes encore 
à table! - voici la troisième volée des cloches pour la messe de 
minuit! » 



Les petits enfants soufflaient dans leurs doigts, mais ils ne se 
morfondirent pas longtemps à attendre, et sur le seuil gothique, blanc 
de neige, Monsieur l'aumônier les régala, au nom des maîtres du logis, 
chacun d'une gaufre et d'une maille. 


* * 



Cependant aucune cloche ne tintait plus. La bonne dame plongea dans un 
manchon ses mains jusqu'aux coudes, le noble sire couvrit ses oreilles 
d'un mortier, et l'humble prêtre, encapuchonné d'une aumusse, marcha 
derrière, son missel sous le bras.

Aloysius Bertrand

Poèmes de Aloysius Bertrand