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La bonne chanson - X

    Quinze longs jours encore et plus de six semaines
    Déjà ! Certes, parmi les angoisses humaines
    La plus dolente angoisse est celle d'être loin.

    On s'écrit, on se dit comme on s'aime ; on a soin
    D'évoquer chaque jour la voix, les yeux, le geste
    De l'être en qui l'on mit son bonheur, et l'on reste

    Des heures à causer tout seul avec l'absent.
    Mais tout ce que l'on pense et tout ce que l'on sent
    Et tout ce dont on parle avec l'absent, persiste
    A demeurer blafard et fidèlement triste.

    Oh ! l'absence ! le moins clément de tous les maux !
    Se consoler avec des phrases et des mots,
    Puiser dans l'infini morose des pensées
    De quoi vous rafraîchir, espérances lassées,
    Et n'en rien remonter que de fade et d'amer !
    Puis voici, pénétrant et froid comme le fer,
    Plus rapide que les oiseaux et que les balles
    Et que le vent du sud en mer et ses rafales
    Et portant sur sa pointe aiguë un fin poison,
    Voici venir, pareil aux flèches, le soupçon
    Décoché par le Doute impur et lamentable.
    Est-ce bien vrai ? tandis qu'accoudé sur ma table
    Je lis sa lettre avec des larmes dans les yeux,
    Sa lettre, où s'étale un aveu délicieux,
    N'est-elle pas alors distraite en d'autres choses ?
    Qui sait ? Pendant qu'ici pour moi lents et moroses
    Coulent les jours, ainsi qu'un fleuve au bord flétri,
    Peut-être que sa lèvre innocente a souri ?
    Peut-être qu'elle est très joyeuse et qu'elle oublie ?

    Et je relis sa lettre avec mélancolie.

Paul Verlaine

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