poesie Suivez-vous sur Twitter : Facebook :

poeme

L'impénitence finale

    À Catulle Mendès

    La petite marquise Osine est toute belle,
    Elle pourrait aller grossir la ribambelle
    Des folles de Watteau sous leur chapeau de fleurs
    Et de soleil, mais comme on dit, elle aime ailleurs
    Parisienne en tout, spirituelle et bonne
    Et mauvaise à ne rien redouter de personne,
    Avec cet air mi-faux qui fait que l'on vous croit,
    C'est un ange fait pour le monde qu'elle voit,
    Un ange blond, et même on dit qu'il a des ailes.
    Vingt soupirants, brûlés du feu des meilleurs zèles
    Avaient en vain quêté leur main à ses seize ans,
    Quand le pauvre marquis, quittant ses paysans
    Comme il avait quitté son escadron, vint faire
    Escale au Jockey ; vous connaissez son affaire
    Avec la grosse Emma de qui - l'eussions-nous cru !
    Le bon garçon était absolument féru,
    Son désespoir après le départ de la grue,
    Le duel avec Gontran, c'est vieux comme la rue ;
    Bref il vit la petite un jour dans un salon,
    S'en éprit tout d'un coup comme un fou ; même l'on
    Dit qu'il en oublia si bien son infidèle
    Qu'on le voyait le jour d'ensuite avec Adèle.
    Temps et mœurs ! La petite (on sait tout aux Oiseaux)
    Connaissait le roman du cher, et jusques aux
    Moindres chapitres : elle en conçut de l'estime.
    Aussi quand le marquis offrit sa légitime
    Et sa main contre sa menotte, elle dit : Oui,
    Avec un franc parler d'allégresse inouï.
    Les parents, voyant sans horreur ce mariage
    (Le marquis était riche et pouvait passer sage)
    Signèrent un contrat avec laisser-aller.
    Elle qui voyait là quelqu'un à consoler
    Ouït la messe dans une ferveur profonde.

    Elle le consola deux ans. Deux ans du monde !

    Mais tout passe !
    Si bien qu'un jour qu'elle attendait
    Un autre et que cet autre atrocement tardait,
    De dépit la voilà soudain qui s'agenouille
    Devant l'image d'une Vierge à la quenouille
    Qui se trouvait là, dans cette chambre en garni,
    Demandant à Marie, en un trouble infini,
    Pardon de son péché si grand, - si cher encore
    Bien qu'elle croie au fond du coeur qu'elle l'abhorre.
    Comme elle relevait son front d'entre ses mains
    Elle vit Jésus-Christ avec les traits humains
    Et les habits qu'il a dans les tableaux d'église.
    Sévère, il regardait tristement la marquise.
    La vision flottait blanche dans un jour bleu
    Dont les ondes voilant l'apparence du lieu,
    Semblaient envelopper d'une atmosphère élue
    Osine qui tremblait d'extase irrésolue
    Et qui balbutiait des exclamations.
    Des accords assoupis de harpes de Sions
    Célestes descendaient et montaient par la chambre
    Et des parfums d'encens, de cinnamome et d'ambre
    Fluaient, et le parquet retentissait des pas
    Mystérieux de pieds que l'on ne voyait pas,
    Tandis qu'autour c'était, en cadences soyeuses,
    Un grand frémissement d'ailes mystérieuses
    La marquise restait à genoux, attendant,
    Toute admiration peureuse, cependant.

    Et le Sauveur parla :
    " Ma fille, le temps passe,
    Et ce n'est pas toujours le moment de la grâce.
    Profitez de cette heure, ou c'en est fait de vous. "

    La vision cessa.
    Oui certes, il est doux
    Le roman d'un premier amant. L'âme s'essaie,
    C'est un jeune coureur à la première haie.
    C'est si mignard qu'on croit à peine que c'est mal.
    Quelque chose d'étonnamment matutinal.
    On sort du mariage habitueux. C'est comme
    Qui dirait la lueur aurorale de l'homme
    Et les baisers parmi cette fraîche clarté
    Sonnent comme des cris d'alouette en été,
    Ô le premier amant ! Souvenez-vous, mesdames !
    Vagissant et timide élancement des âmes
    Vers le fruit défendu qu'un soupir révéla...
    Mais le second amant d'un femme, voilà !
    On a tout su. La faute est bien délibérée
    Et c'est bien un nouvel état que l'on se crée,
    Un autre mariage à soi-même avoué.
    Plus de retour possible au foyer bafoué.
    Le mari, débonnaire ou non, fait bonne garde
    Et dissimule mal. Déjà rit et bavarde
    Le monde hostile et qui sévirait au besoin.
    Ah, que l'aise de l'autre intrigue se fait loin !
    Mais aussi cette fois comme on vit, comme on aime,
    Tout le coeur est éclos en une fleur suprême.
    Ah, c'est bon ! Et l'on jette à ce feu tout remords,
    On ne vit que pour lui, tous autres soins sont morts.
    On est à lui, on n'est qu'à lui, c'est pour la vie,
    Ce sera pour après la vie, et l'on défie
    Les lois humaines et divines, car on est
    Folle de corps et d'âme, et l'on ne reconnaît
    Plus rien, et l'on ne sait plus rien, sinon qu'on l'aime !

    Or cet amant était justement le deuxième
    De la marquise, ce qui fait qu'un jour après,
    - Ô sans malice et presque avec quelques regrets -
    Elle le revoyait pour le revoir encore.
    Quant au miracle, comme une odeur s'évapore,
    Elle n'y pensa plus bientôt que vaguement.

    Un matin, elle était dans son jardin charmant,
    Un matin de printemps, un jardin de plaisance ;
    Les fleurs vraiment semblaient saluer sa présence,
    Et frémissaient au vent léger, et s'inclinaient
    Et les feuillages, verts tendrement, lui donnaient
    L'aubade d'un timide et délicat ramage
    Et les petits oiseaux, volant à son passage,
    Pépiaient à plaisir dans l'air tout embaumé
    Des feuilles, des bourgeons et des gommes de mai.
    Elle pensait à lui, sa vue errait, distraite,
    À travers l'ombre jeune et la pompe discrète
    D'un grand rosier bercé d'un mouvement câlin,
    Quand elle vit Jésus en vêtements de lin
    Qui marchait, écartant les branches de l'arbuste
    Et la couvait d'un long regard triste. Et le Juste
    Pleurait. Et tout en un instant s'évanouit.
    Elle se recueillait.
    Soudain un petit bruit
    Se fit. On lui portait en secret une lettre,
    Une lettre de lui, qui lui marquait peut-être
    Un rendez-vous.
    Elle ne put la déchirer.

    Marquis, pauvre marquis, qu'avez-vous à pleurer
    Au chevet de ce lit de blanche mousseline ?
    Elle est malade, bien malade.
    " Sœur Aline,
    A-t-elle un peu dormi ? "
    - " Mal, monsieur le marquis. "
    Et le marquis pleurait.
    " Elle est ainsi depuis
    " Deux heures, somnolente et calme. Mais que dire
    " De la nuit ? Ah, monsieur le marquis, quel délire !
    " Elle vous appelait, vous demandait pardon
    " Sans cesse, encor, toujours, et tirait le cordon.
    " De sa sonnette. "
    Et le marquis frappait sa tête
    De ses deux poings et, fou dans sa douleur muette
    Marchait à grands pas sourds sur les tapis épais
    (Dès qu'elle fut malade, elle n'eut pas de paix
    Qu'elle n'eût avoué ses fautes au pauvre homme
    Qui pardonna.) La sœur reprit pâle : " Elle eut comme
    " Un rêve, un rêve affreux. Elle voyait Jésus,
    " Terrible sur la nue et qui marchait dessus,
    " Un glaive dans la main droite, et de la main gauche
    " Qui ramait lentement comme une faux qui fauche,
    " Écartant sa prière, et passait furieux. "

    Un prêtre, saluant les assistants des yeux,
    Entre.
    Elle dort.
    Ô ses paupières violettes !
    Ô ses petites mains qui tremblent maigrelettes !
    Ô tout son corps perdu dans les draps étouffants !
    Regardez, elle meurt de la mort des enfants.

    El le prêtre anxieux, se penche à son oreille.
    Elle s'agite un peu, la voilà qui s'éveille,
    Elle voudrait parler, la voilà qui s'endort
    Plus pâle.
    Et le marquis : " Est-ce déjà la mort ? "
    Et le docteur lui prend les deux mains, et sort vite.

    On l'enterrait hier matin. Pauvre petite !

Paul Verlaine

Poèmes de Verlaine