La chanson des ingénues
Nous sommes les Ingénues Au bandeaux plats, à oil bleu, Qui vivons, presque inconnues, Dans les romans qu'on lit peu. Nous allons entrelacées, Et le jour n'est pas plus pur Que le fond de nos pensées, Et nos rêves sont d'azur ; Et nous courons par les prés, Et rions et babillons Des aubes jusqu'aux vesprées, Et chassons aux papillons ; Et des chapeaux de bergères Défendent notre fraîcheur, Et nos robes - si légères - Sont d'une extrême blancheur ; Les Richelieux, les Caussades Et les chevaliers Faublas Nous prodiguent les oillades, Les saluts et les " hélas ! " , Mais en vain, et leurs mimiques Se viennent casser le nez Devant les plis ironiques De nos jupons détournés ; Et notre candeur se raille Des imaginations De ces raseurs de muraille, Bien que parfois nous sentions Battre nos cours sous nos mantes À des pensers clandestins, En nous sachant les amantes Futures des libertins. Paul Verlaine |