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Épilogue - III

    Ah ! l'Inspiration superbe et souveraine,
    L'Égérie aux regards lumineux et profonds,
    Le Genium commode et l'Erato soudaine,
    L'Ange des vieux tableaux avec des ors au fond,

    La Muse, dont la voix est puissante sans doute,
    Puisqu'elle fait d'un coup dans les premiers cerveaux,
    Comme ses pissenlits dont s'émaille la route,
    Pousser tout un jardin de poèmes nouveaux,

    La Colombe, le Saint-Esprit, le saint Délire,
    Les Troubles opportuns, les Transports complaisants,
    Gabriel et son luth, Apollon et sa lyre,
    Ah ! l'Inspiration, on l'invoque à seize ans !

    Ce qu'il nous faut à nous, les Suprêmes Poètes
    Qui vénérons les Dieux et qui n'y croyons pas,
    À nous dont nul rayon n'auréola les têtes,
    Dont nulle Béatrix n'a dirigé les pas,

    À nous qui ciselons les mots comme des coupes
    Et qui faisons des vers émus très froidement,
    À nous qu'on ne voit point les soirs aller par groupes
    Harmonieux au bord des lacs et nous pâmant,

    Ce qu'il nous faut à nous, c'est, aux lueurs des lampes,
    La science conquise et le sommeil dompté,
    C'est le front dans les mains du vieux Faust des estampes,
    C'est l'obstination et c'est la Volonté !

    C'est la Volonté sainte, absolue, éternelle,
    Cramponnée au projet comme un noble condor
    Aux flancs fumants de peur d'un buffle, et d'un coup d'aile
    Emportant son trophée à travers les cieux d'or !

    Ce qu'il nous faut à nous, c'est l'étude sans trêve,
    C'est l'effort inouï, le combat nonpareil,
    C'est la nuit, l'âpre nuit du travail, d'où se lève
    Lentement, lentement, l'Œuvre, ainsi qu'un soleil !

    Libre à nos Inspirés, cœurs qu'une œillade enflamme,
    D'abandonner leur être aux vents comme un bouleau ;
    Pauvres gens ! l'Art n'est pas d'éparpiller son âme :
    Est-elle en marbre. ou non. la Vénus de Milo ?

    Nous donc, sculptons avec le ciseau des Pensées
    Le bloc vierge du Beau, Paros immaculé,
    Et faisons-en surgir sous nos main empressées
    Quelque pure statue au péplos étoilé,

    Afin qu'un jour, frappant de rayons gris et roses
    Le chef-d'œuvre serein, comme un nouveau Memnon,
    L'Aube - Postérité, fille des Temps moroses,
    Fasse dans l'air futur retentir notre nom !

Paul Verlaine

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