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poeme

Sagesse II - III - II

    Du fond du grabat
    As-tu vu l'étoile
    Que l'hiver dévoile ?
    Comme ton coeur bat,
    Comme cette idée,
    Regret ou désir,
    Ravage à plaisir
    Ta tête obsédée,
    Pauvre tête en feu,
    Pauvre coeur sans dieu !

    L'ortie et l'herbette
    Au bas du rempart
    D'où l'appel frais part
    D'une aigre trompette,
    Le vent du coteau,
    La Meuse, la goutte
    Qu'on boit sur la route
    À chaque écriteau,
    Les sèves qu'on hume,
    Les pipes qu'on fume !

    Un rêve de froid :
    " Que c'est beau la neige
    Et tout son cortège
    Dans leur cadre étroit !
    Oh ! tes blancs arcanes,
    Nouvelle Archangel,
    Mirage éternel
    De mes caravanes !
    Oh ! ton chaste ciel,
    Nouvelle Archangel ! "

    Cette ville sombre !
    Tout est crainte ici...
    Le ciel est transi
    D'éclairer tant d'ombre.
    Les pas que tu fais
    Parmi ces bruyères
    Lèvent des poussières
    Au souffle mauvais...
    Voyageur si triste,
    Tu suis quelle piste ?

    C'est l'ivresse à mort,
    C'est la noire orgie,
    C'est l'amer effort
    De ton énergie
    Vers l'oubli dolent
    De la voix intime,
    C'est le seuil du crime,
    C'est l'essor sanglant.
    - Oh fuis la chimère :
    Ta mère, ta mère !

    Quelle est cette voix
    Qui ment et qui flatte ?
    " Ah ! la tête plate,
    Vipère des bois ! "
    Pardon et mystère.
    Laisse ça dormir.
    Qui peut, sans frémir,
    Juger sur la terre ?
    - Ah ! pourtant, pourtant,
    Ce monstre impudent ! "

    La mer ! Puisse-t-elle
    Laver ta rancœur,
    La mer au grand coeur,
    Ton aïeule, celle
    Qui chante en berçant
    Ton angoisse atroce,
    La mer, doux colosse
    Au sein innocent,
    Grondeuse infinie
    De ton ironie !

    Tu vis sans savoir !
    Tu verses ton âme,
    Ton lait et ta flamme
    Dans quel désespoir ?
    Ton sang qui s'amasse
    En une fleur d'or
    N'est pas prêt encor
    À la dédicace.
    Attends quelque peu,
    Ceci n'est que jeu.

    Cette frénésie
    T'initie au but.
    D'ailleurs, le salut
    Viendra d'un Messie
    Dont tu ne sens plus
    Depuis bien des lieues
    Les effluves bleues
    Sous tes bras perclus,
    Naufragé d'un rêve
    Qui n'a pas de grève !

    Vis en attendant
    L'heure toute proche.
    Ne sois pas prudent.
    Trêve à tout reproche.
    Fais ce que tu veux.
    Une main te guide
    À travers le vide
    Affreux de tes voeux.
    Un peu de courage,
    C'est le bon orage.

    Voici le Malheur
    Dans sa plénitude.
    Mais à sa main rude
    Quelle belle fleur !
    " La brûlante épine ! "
    Un lis est moins blanc.
    " Elle m'entre au flanc. "
    Et l'odeur divine !
    " Elle m'entre au coeur. "
    Le parfum vainqueur !

    " Pourtant je regrette,
    Pourtant je me meurs,
    Pourtant ces deux cœurs... "
    Lève un peu la tête :
    " Eh bien, c'est la Croix. "
    Lève un peu ton âme
    De ce monde infâme.
    " Est-ce que je crois ? "
    Qu'en sais-tu ? La Bête
    Ignore sa tête,

    La Chair et le Sang
    Méconnaissent l'Acte.
    " Mais j'ai fait un pacte
    Qui va m'enlaçant
    À la faute noire,
    Je me dois à mon
    Tenace démon :
    Je ne veux point croire.
    Je n'ai pas besoin
    De rêver si loin !

    " Aussi bien j'écoute
    Des sons d'autrefois.
    Vipère des bois,
    Encor sur ma route ?
    Cette fois tu mords. "
    Laisse cette bête.
    Que fait au poète ?
    Que sont des cœurs morts ?
    Ah ! plutôt oublie
    Ta propre folie.

    Ah ! plutôt, surtout,
    Douceur, patience,
    Mi-voix et nuance,
    Et paix jusqu'au bout !
    Aussi bon que sage,
    Simple autant que bon,
    Soumets ta raison
    Au plus pauvre adage,
    Naïf et discret,
    Heureux en secret !

    Ah ! surtout, terrasse
    Ton orgueil cruel,
    Implore la grâce
    D'être un pur Abel,
    Finis l'odyssée
    Dans le repentir
    D'un humble martyr
    D'une humble pensée.
    Regarde au-dessus...
    " Est-ce vous, JÉSUS ? "

Paul Verlaine

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