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Sagesse I - XXIV

    L'âme antique était rude et vaine
    Et ne voyait dans la douleur
    Que l'acuité de la peine
    Ou l'étonnement du malheur.

    L'art, sa figure la plus claire,
    Traduit ce double sentiment
    Par deux grands types de la Mère
    En proie au suprême tourment.

    C'est la vieille reine de Troie :
    Tous ses fils sont morts par le fer.
    Alors ce deuil brutal aboie
    Et glapit au bord de la mer.

    Elle court le long du rivage,
    Bavant vers le flot écumant,
    Hirsute, criarde, sauvage,
    La chienne littéralement !...

    Et c'est Niobé qui s'effare
    Et garde fixement des yeux
    Sur les dalles de pierre rare
    Ses enfants tués par les dieux.

    Le souffle expire sur sa bouche,
    Elle meurt dans un geste fou.
    Ce n'est plus qu'un marbre farouche
    Là transporté nul ne sait d'où !...

    La douleur chrétienne est immense,
    Elle, comme le coeur humain.
    Elle souffre, puis elle pense,
    Et calme poursuit son chemin.

    Elle est debout sur le Calvaire
    Pleine de larmes et sans cris.
    C'est également une mère,
    Mais quelle mère de quel fils !

    Elle participe au Supplice
    Qui sauve toute nation,
    Attendrissant le sacrifice
    Par sa vaste compassion.

    Et comme tous sont les fils d'elle,
    Sur le monde et sur sa langueur
    Toute la charité ruisselle
    Des sept blessures de son coeur.

    Au jour qu'il faudra, pour la gloire
    Des cieux enfin tout grands ouverts,
    Ceux qui surent et purent croire,
    Bons et doux, sauf au seul Pervers,

    Ceux-là, vers la joie infinie
    Sur la colline de Sion,
    Monteront d'une aile bénie
    Aux plis de son assomption.

Paul Verlaine

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