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Sagesse I - III

    Qu'en dis-tu, voyageur, des pays et des gares ?
    Du moins as-tu cueilli l'ennui, puisqu'il est mûr,
    Toi que voilà fumant de maussades cigares,
    Noir, projetant une ombre absurde sur le mur ?

    Tes yeux sont aussi morts depuis les aventures,
    Ta grimace est la même et ton deuil est pareil :
    Telle la lune vue à travers des mâtures,
    Telle la vieille mer sous le jeune soleil,

    Tel l'ancien cimetière aux tombes toujours neuves !
    Mais voyons, et dis-nous les récits devinés,
    Ces désillusions pleurant le long des fleuves,
    Ces dégoûts comme autant de fades nouveau-nés,

    Ces femmes ! Dis les gaz, et l'horreur identique
    Du mal toujours, du laid partout sur tes chemins,
    Et dis l'Amour et dis encore la Politique
    Avec du sang déshonoré d'encre à leurs mains.

    Et puis surtout ne va pas t'oublier toi-même
    Traînassant ta faiblesse et ta simplicité
    Partout où l'on bataille et partout où l'on aime,
    D'une façon si triste et folle, en vérité !

    A-t-on assez puni cette lourde innocence ?
    Qu'en dis-tu ? L'homme est dur, mais la femme ?
    Et tes pleurs, Qui les a bus ? Et quelle âme qui les recense
    Console ce qu'on peut appeler tes malheurs ?

    Ah les autres, ah toi ! Crédule à qui te flatte,
    Toi qui rêvais (c'était trop excessif, aussi)
    Je ne sais quelle mort légère et délicate !
    Ah toi, l'espèce d'ange avec ce vœu transi !

    Mais maintenant les plans, les buts ? Es-tu de force,
    Ou si d'avoir pleuré t'a détrempé le coeur ?
    L'arbre est tendre s'il faut juger d'après l'écorce,
    Et tes aspects ne sont pas ceux d'un grand vainqueur.

    Si gauche encore ! avec l'aggravation d'être
    Une sorte à présent d'idyllique engourdi
    Qui surveille le ciel bête par la fenêtre
    Ouverte aux yeux matois du démon de midi.

    Si le même dans cette extrême décadence !
    Enfin ! - Mais à ta place un être avec du sens,
    Payant les violons voudrait mener la danse,
    Au risque d'alarmer quelque peu les passants.

    N'as-tu pas, en fouillant les recoins de ton âme,
    Un beau vice à tirer comme un sabre au soleil,
    Quelque vice joyeux, effronté, qui s'enflamme
    Et vibre, et darde rouge au front du ciel vermeil ?

    Un ou plusieurs ? Si oui, tant mieux ! Et pars bien vite
    En guerre, et bats d'estoc et de taille, sans choix
    Surtout, et mets ce masque indolent où s'abrite
    La haine inassouvie et repue à la fois...

    Il faut n'être pas dupe en ce farceur de monde
    Où le bonheur n'a rien d'exquis et d'alléchant
    S'il n'y frétille un peu de pervers et d'immonde,
    Et pour n'être pas dupe il faut être méchant.

    - Sagesse humaine, ah, j'ai les yeux sur d'autres choses,
    Et parmi ce passé dont ta voix décrivait
    L'ennui, pour des conseils encore plus moroses,
    Je ne me souviens plus que du mal que j'ai fait.

    Dans tous les mouvements bizarres de ma vie,
    De mes " malheurs " , selon le moment et le lieu,
    Des autres et de moi, de la route suivie,
    Je n'ai rien retenu que la grâce de Dieu.

    Si je me sens puni, c'est que je le dois être.
    Ni l'homme ni la femme ici ne sont pour rien.
    Mais j'ai le ferme espoir d'un jour pouvoir connaître
    Le pardon et la paix promis à tout Chrétien.

    Bien de n'être pas dupe en ce monde d'une heure,
    Mais pour ne l'être pas durant l'éternité,
    Ce qu'il faut à tout prix qui règne et qui demeure,
    Ce n'est pas la méchanceté, c'est la bonté.

Paul Verlaine

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