
C'est bien trop triste Venise sans les étoiles dans tes yeux...
Posté par Arwen G,
08 août 2008
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Venise, le 31 décembre 2…
Mon amour,
Comme tous les matins, le pantin que je suis devenu, traverse Saint Marc. Je dois tellement faire partie intégrante du lieu que même les pigeons ne se retournent plus. Toi non plus, tu ne te retournes plus quand je t'embrasse avant d'affronter la journée fade qui m'attend. Seuls les touristes, quand il y en a (car ils ne se lèvent pas à l'aurore), tournent la tête et sourient. Même ces idiots sont conscients que je suis hors saison : ce n'est pourtant pas encore Carnaval, doivent-ils penser. S'ils savaient combien je les emmerde avec leur pseudo logique. Carnaval c'est tous les jours pour un pantin !
Ce matin, je pars comme Pinocchio sur le chemin de l'école buissonnière et je vais vers le canal à la conquête de la baleine. Je veux abattre le lion et le palais des doges. Mon amour, pour que tu me regardes à nouveau avec ces yeux de notre premier rendez-vous, je ferais n'importe quoi. J'ai beau changé d'habit tous les jours, je ne reste que ce que je suis : un pauvre et terne pantin que tu ne regardes plus avec passion. Et moi, le pantin, le fantoche, le polichinelle, je ne peux pas vivre si je ne suis pas capable d'allumer la passion dans tes yeux, dans ton cœur, dans ton corps.
Moi, le rêveur, moi le poète, je sais que je ne suis plus rien si tu ne trembles pas quand je te touche ; si tu n'écarquilles pas tes beaux yeux de velours quand je te lis mes poèmes, je n'ai plus de raison d'en écrire. Si tu ne frémis plus, je ne suis rien d'autre qu'un pantin et je donnerais alors raison au monde artificiel qui t'entoure.
Mais tout à l'heure, à ton réveil, tu verras ! Tantôt, à ton réveil, quand tu prendras ta tasse de café, tranquillement assise dans tes habitudes, quand tu prendras ton foutu quotidien, tu ouvriras des yeux plus grands que des cratères !
Tu liras sans doute en première page un titre de ce genre :
'Un pantin fou a saccagé la place Saint Marc et s'est jeté dans le canal. Il a disparu dans les eaux troubles sans jamais remonter à la surface. Les hommes grenouilles ratissent encore le canal sans résultat! (suite de l'article pg. 3)'
M'aimeras-tu à nouveau avec ce cœur d'autrefois ? M'aimeras-tu enfin autant que je t'aime ?
En attendant, mon amour, je te laisse dormir. J'ai respiré le parfum de ta joue, j'ai caressé la douceur de tes longs cheveux noirs, j'ai déposé un baiser sur ton front et quitté la chambre sans bruit. J'emporte tout de toi ; mon cœur pourrait te dessiner dans les ténèbres. Je n'ai nul besoin de photo. Ton visage, tes mains, le galbe de tes seins, la courbe de tes hanches, le satin de ta peau et la grâce de ton pas sont imprimés dans ma mémoire.
Mon amour, dans ce matin rayonnant d'un soleil blanc, je pars à ta conquête. Ma redingote est ridicule; mon cartable ressemble à une vieille valise d'avant guerre. Je suis burlesque comme le dirait tes amis. Burlesque, cela convient parfaitement à Venise, tu ne trouves pas ?
Mon cortex a travaillé toute la nuit. J'ai repassé tous nos moments heureux. J'ai analysé tous les éléments qui volaient la lumière à tes yeux. Je n'ai trouvé qu'une toute petite conclusion.
Nous avons vu tous les pays que tu as voulu visiter mais au bout de quelques jours tes yeux se sont toujours éteints. Que cherches-tu mon amour ? C'est cette énigme que je vais tenter de résoudre aujourd'hui.
Mon amour, je vais t'offrir ma mort à défaut de te donner ma vie.
Je t'aime, amour, au revoir. C'est bien trop triste Venise sans les étoiles dans tes yeux.
Ton pantin fou.
Arwen Gernak