Le poète et la mare

Fable

Tout poète est idiot et croit depuis Ronsard
Qu’écrire c’est séduire au nom sacré de l’Art.
A livrer trop de plats on massacre une table
Voilà ce que diront les vers de cette fable.

Il advint qu’un poète en habit de campagne
Se promenait gaiement le long d’un bois moussu,
De cet esprit léger qui souvent le cœur gagne
Et vous livre des mots venant à votre insu.
Au détour du chemin il vit une bergère,
Aussi belle qu’un cœur mais aussi torturé.
Car mener un troupeau est bien chose légère
Pour peu qu’aucun taureau ne soit un déluré.
Mais poète ou cocu ne craignent pas les cornes,
L’homme aida de son mieux la belle et son troupeau.
Il se dit en lui-même : « Et pour tous les jours mornes
Que la belle bergère aura sur son chemin,
J’écrirai ce poème à donner le sourire
Commençant aujourd’hui et finissant demain ».
Et se prenant au mot, il se mit à écrire.
Il y eut une lettre et puis deux et puis vingt,
La bergère bientôt n’ouvrit plus l’enveloppe
En craignant d’annoncer que l’ouvrage était vain
Comme tissait jadis la belle Pénélope.
Elle en glissait en vrac au dedans des sabots
Et en faisait un lit pour toute sa volaille,
Elle en recevait tant que même les corbeaux
Se demandaient parfois si c’était de la paille.
Un poète courtois est souvent encombrant ;
Du côté du jardin, elle amassa les lettres,
Leur promit à l’automne un beau feu dévorant.
Elle oubliait le vent dont les sautes sont traitres,
Il lui plut de créer la forme d’un bassin,
Il joua de la feuille et encor de la tourbe,
Il dressait son bâti comme on fait un larcin,
Le vent est polisson, parfois même il est fourbe.
Et puis jaloux du vent, le ciel lança son eau,
Le bassin se remplit d’algues et de rainettes,
C’est ainsi qu’un étang fut l’œuvre du héros
Dans des conditions qui sont loin d’être honnêtes.

Toi, poète bavard sache te faire rare,
Celle qui te lira, bientôt en aura mare.