Terza-rima
Montez à bord, visions du désir,
Allez, montez ! Ne restez pas sur place !
Juste un moment, pour moi c'est du plaisir.
La route est longue et voici tout s'efface
Dans un tournant, un virage, un lacet,
Restez à bord ! Je perdrais votre trace.
Vous parlez peu, serait-ce du français ?
Je suis poète et j'en connais des phrases.
Des mots d'amour ? Ô Dieu, combien j'en sais !
Tous les mots doux, les pourvoyeurs d'extases,
Je les connais, j'en couvre mon frigo
Comme des fleurs. Ah, si j'avais des vases !
Tout doux ! La femme est une virago,
Une mégère à peine apprivoisée,
Rien qu'y penser me flanque un vertigo.
Alors je songe à la belle, croisée
Juste un instant, l'espace de mes fleurs,
Dans la douceur enivrante et boisée.
Holà, désir ! Je vois trop de couleurs,
Même à midi la lumière est moins forte,
La nuit surtout fait de l'ombre aux malheurs.
Vous descendez ? Ne claquez pas la porte.
Ô visions, quel est mon avenir ?
Restez un peu pour me servir d'escorte,
Je voudrais tant pouvoir vous retenir.
Essaie de les retenir, poète,
même s'il y en a peu qui s'arrêtent.
Les visions de ton désir.
Glisse-les, à demi-voilées, dans tes phrases.
Essaie de les retenir, poète,
quand elles surgissent dans ton cerveau,
la nuit ou dans le plein éclat de midi.
Quand elles surgissent (1916) – Poèmes – Constantin Cavafis
Montez à bord, visions du désir,
Allez, montez ! Ne restez pas sur place !
Juste un moment, pour moi c'est du plaisir.
La route est longue et voici tout s'efface
Dans un tournant, un virage, un lacet,
Restez à bord ! Je perdrais votre trace.
Vous parlez peu, serait-ce du français ?
Je suis poète et j'en connais des phrases.
Des mots d'amour ? Ô Dieu, combien j'en sais !
Tous les mots doux, les pourvoyeurs d'extases,
Je les connais, j'en couvre mon frigo
Comme des fleurs. Ah, si j'avais des vases !
Tout doux ! La femme est une virago,
Une mégère à peine apprivoisée,
Rien qu'y penser me flanque un vertigo.
Alors je songe à la belle, croisée
Juste un instant, l'espace de mes fleurs,
Dans la douceur enivrante et boisée.
Holà, désir ! Je vois trop de couleurs,
Même à midi la lumière est moins forte,
La nuit surtout fait de l'ombre aux malheurs.
Vous descendez ? Ne claquez pas la porte.
Ô visions, quel est mon avenir ?
Restez un peu pour me servir d'escorte,
Je voudrais tant pouvoir vous retenir.