Où sont passés les tisserands des mots ?

Tous les chants viennent à l’homme quand il est seul dans la grande solitude. Ils viennent à lui dans le sillage des larmes, des larmes qui jaillissent du plus profond du cœur, ou bien ils viennent à lui, soudainement accompagnés par la joie et le rire qui s’élèvent en nous, nous ne savons pas comment, quand nous méditons sur la vie et regardons les merveilles de ce monde qui nous entoure.
Ensuite, sans que nous le voulions, sans que nous le sachions, des mots qui n’appartiennent pas aux paroles de tous les jours viennent à nous en songe. Ils viennent à nous chaque fois que nous prenons notre respiration et deviennent la propriété de ceux qui possèdent le don de les tisser ensemble pour les autres.
Grönlandsagen, Berlin, 1922, p.229 – Knud Rasmussen (1879 – 1933, explorateur et anthropologue danois)

Où sont passés les tisserands des mots,
Des mots de joie ou des mots de tristesse,
Des mots de pierre ou des mots de caresse,
Des mots de vieux ou des mots de marmots ?

Passe le temps, bien mieux que la navette ;
Tisser les mots, c’était plus qu’un métier,
Qu’un peigne fin – demandez à Gautier
Si son ensouple ignorait le poète.

Car pour tisser nul besoin de motif,
Le cœur suffit, les mots feront le reste
Pour resurgir ainsi qu’un palimpseste,
L’écrit perdu d’un ouvrage votif.

A nos amours, voici la dédicace ;
Faites glisser quelques fils de chagrin
Puis dans la trame, ajoutez donc un brin,
Si précieux, de vos instants de grâce.

Ô Atropos, tiens plus loin ton ciseau,
J’ai quelques mots encore à mettre ensemble,
Pour les tisser, avant que ma main tremble
Et que le fil manque au jeu du fuseau.