Aveugle, où donc est ta viole ?

Les aveugles et violeurs*
Pour ôter aux gens leurs douleurs
Chantent toujours belles chansons ;
Et toutefois par chants et sons
Ils ne peuvent chasser les leurs.


*joueurs de viole

A Mathieu de Quatre de la Mastre - Bonaventure Des Périers (149?-1544)

Aveugle, où donc est ta viole ?
Laisse tes doigts tenir l'archet
Et chante nous l'air qui console
Ne pesant rien au trébuchet.

Tu ne vois pas cette hirondelle
Donner tournis au franc soleil,
Mais ta chanson, crois nous, recèle
L'éclat d'un or sans nul pareil.

Prends donc pitié pour le marchand,
Mains dans la soie ou dans l'étoffe,
Moins de douceur que dans ton chant,
Que dans la corde ou dans la strophe.

Glisse l'aumône au pèlerin,
Mains dans le Livre ou la prière,
Moins de ferveur qu'en ton refrain,
Qu'en ta musique, ô pauvre hère !

Mais tes démons, ce sont les leurs,
Tu les fais tiens, que Dieu te garde !
Car pour chasser malheurs, douleurs,
Ouvre la bouche et puis regarde.