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Retour aux terres froides (3)

Posté par germain gerard, 22 juin 2007 · 565 visite(s)

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3 ----------
Lentement l'étranger se dissout
avec elation-elegance-exaltation
dans les dernières mesures
de Psalm puis il s’en va
OOO
Alors qu'ailleurs
appuyée au comptoir
la femme électrique semble
observer le billet de vingt dollars
plié en huit qu'elle tient
entre pouce et index
Hémisphères
des paupières bleutées
finement craquelées
comme sur des huiles
mal vieillies
Longueur sensuelle
du nez aquilin
moue des lèvres
arrondies violacées
poussées vers l'avant
Craquements et mouvances
de l'air climatisé
dans la longue chevelure
rousse et laquée
Ultra-clean
le barman sans âge
avec son calot blanc et frais
adresse un sourire compétent
à l'homme au feutre turquoise
galonné d'outremer
qui se tient près de la femme
sans la toucher cependant
« Ils ne sont pas mariés
ils ne sont pas amants
ils seraient plutôt complices
mais va-t’en savoir de quoi »
cogite in petto le barman
qui lit trop
dans ses heures creuses
L’homme à côté de la femme
semble se donner
une importance qu’il n’a
probablement pas ailleurs
que dans ce bar
somme toute quelconque
malgré le grand vide
de la salle climatisée
– Murs crème brillants d’hôpital
carrelage blanc propreté aseptisée
pas de pub hormis le tube
fluo azur et son souffle
froid de laboratoire
au-dessus des verres et tasses –
les percolateurs chromés
aux soupapes qui crachotent
en cadence de la vapeur
qu’on dirait acide
« Dans ma ville
je suis quelqu’un »
semble vouloir dire
et se faire avaler
l’homme
Personne ne le contredit
nul ne demande
à le croire
OOO
Peau ivoirine
aux reflets bleutés
de la femme éburnéenne
bras minces et délicats
aux jointures très fines
traces fugitives
de tendresses anciennes
bouffées mal maquillées
d’élans muselés
de bontés contenues
Elle feint
d’ignorer les propos
à coup sûr passablement
dénués d’intérêt
de son compagnon
« Lui
en dehors de ses burnes
il voit rien en fait
il est peut-être son patron
mais dans quel genre de combine? »
se demande le barman
en souriant puis :
« Affaires pas brillantes
faut s’accrocher
et comme selon toute apparence
il est célibataire
et qu’elle travaille
probablement pour lui
depuis une paie quand même
(– ça se voit à la sûreté
de ses gestes à elle
qui la mettent au moins
sur un pied d’égalité avec lui –)
il en a fait
en quelque sorte
son catalogue complet
de la femme »
OOO
Elle étend ses avant-bras
qui portent des traces
d’avitaminose (régime?)
faux ongles également
mais pas de faux cils
« Les taches de rousseur
sont sublimes et plus encore »
sous les reflets de la pub bleue
surplombant les étagères chromées
Tasses de café vides
restées sur le comptoir
cendriers d’opaline aseptisée
OOO
L’homme
se donne un peu trop l’air
de quelqu’un qui sait y faire
avec ses quarante-huit balais
son feutre turquoise au bord
légèrement incliné sur les yeux
les rayures bleu fondé
de sa chemise outremer
son complet bleu aviateur uni
(un bouton du gilet ouvert)
une cravate fripée de laine noire
le nœud simple tordu
et pas très bien ajusté
La froideur calculée du visage
contredite par les mains fines
aux doigts et aux ongles un peu longs
les index et les majeurs brunis
par le goudron des cigarettes
OOO
La femme s’agace
elle regarde l’heure
en secouant son poignet
En face
à deux heures du mat
sous les vapes de sodium
la route est en or
au flanc de la muraille
de l’usine électrique
Seul bruit
une cuiller qui tombe
dans l’évier en inox
Et
L’étranger est parti
L’homme au chapeau
lutte contre l’assoupissement
La femme agite son billet
en plantant ses yeux froids
dans le sourire reptilien
du barman
[font="Times New Roman"]




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