Ici, je ne bâtis pas 
D'une main industrieuse, 
A la ligne et au compas, 
Une maison somptueuse.
Ici, je ne veux chanter 
L'orgueil de quelque édifice, 
Ni l'ouvrage retenter 
D'un ancien frontispice.
Autre que moi, mieux appris 
En cette magnificence, 
Chante l'honneur et le prix 
Et la superbe excellence.
D'un palais audacieux 
Qui lève si haut la tête, 
Qu'il la cache dans les cieux 
Pour voisiner la tempête.
Et de son heureuse main 
Fasse quelque forme antique, 
Ou quelque antique dessin 
Corinthien ou dorique.
Rome a bien eu des sonneurs 
Qui ont chanté les louanges 
Des princes et grands seigneurs, 
Jusques aux terres étranges.
Et si a bien eu cet heur 
D'avoir le marbre et le cuivre, 
Pour lui redoubler l'honneur 
Qui l'a fait doublement vivre.
Entre les trésors ouverts 
De cette machine ronde, 
N'avezvous en l'univers 
Les sept miracles du monde ?
La Grèce n'a pas laissé 
Tomber ses cariatides, 
Ni l'Égypte rabaissé 
L'orgueil de ses pyramides.
Le sépulcre Carien Vit 
Encor en la mémoire ; 
L'amphithéâtre ancien 
Jamais ne taira sa gloire.
Mille et mille bâtiments, 
Mille et mille piliers ores, 
Et mille compartiments 
Se voient pourtraits encores.
Tous les palais somptueux, 
La mémoire de nos princes, 
Malgré l'âge injurieux, 
Se voient en leurs provinces.
Et pourtant qu'en pauvre lieu
Notre Dieu ait voulu naître, 
Notre Père et notre Dieu,
Notre bon seigneur et maître ;
Fautil taire sa grandeur,
Fautil taire sa clémence, 
Fautil taire le bonheur, 
Le bonheur de sa naissance ?
Fautil taire l'ornement
D'une loge micouverte 
A toute l'horreur du vent
Et à la froidure ouverte ?
Ô sainte et sainte maison !
Ô maison dignement sainte ! 
Ô bienheureuse saison, 
Qui a vu la Vierge enceinte !
Ici, je veux maçonner
De ce bâtiment l'exemple, 
Et de mes vers façonner 
Le projet de ce beau temple.
Çà la règle et le compas,
Çà le papier et la plume, 
Muse, avant qu'on mette bas
Le feu, qui nos coeurs allume.
Venez faire le projet
Avant qu'on laisse les armes ; 
Laissez là ce vain objet 
Qui ne cause que des larmes.
C'est l'orgueilleux bâtiment
Jà jà ruiné par terre,
Qui n'eut jamais fondement, 
Ni de brique ni de pierre.
Quatre fourches en carré,
L'une sur l'autres penchantes, 
Sous un plancher bigarré, 
De tous côtés chancelantes,
Étayent les quatre pipiers 
De ce si tant beau repaire, 
Où les anges à milliers 
Ont vu la Vierge être mère.
Sur ces fourches tout en long 
Quatre perches à l'antique 
Désignaient le double front 
D'un double et double portique.
Tout le plancher de roseaux
Et de paille ramassée, 
De torchis et de tuileaux, 
D'herbe sèche entrelacée,
Était tout entièrement 
Lambrissé en telle sorte, 
Qu'on eût dit facilement 
Le tout n'être qu'une porte.
Les poutres et soliveaux 
Étaient petites perchettes, 
Plus pour nicher les oiseaux 
Que pour servir de logettes.
L'entour était façonné 
D'une claie mirompue, 
Où le vent avait donné 
Tant, qu'il l'avait corrompue.
Sur le dessus mipassait 
L'herbe penchant de froidure, 
Qui ses cheveux hérissait, 
Teints encore de verdure.
Quatre gaules de travers, 
Déjà sèches de vieillesse, 
Ouvertes de mille vers, 
Bout sur bout faisaient l'adresse.
Pour élever tout autour 
Une bien mince clôture 
Qui eût remparé l'entour 
De cette pauvre ouverture.
Mais tout était découvert, 
Le vent, la pluie et la grêle 
Trouvait toujours l'huis ouvert 
Pour s'y fourrer pêlemêle.
Le froid, l'humide et le chaud, 
L'éclair, l'horreur, le tonnerre, 
Bref, ce qui tombe d'en haut 
Sur les sillons de la terre,
Pouvaient tomber en ce lieu, 
En ce lieu sans couverture 
Qui a vu l'enfant de Dieu 
Naître d'une créature.
Mais Dieu qui demeure ès cieux 
Et qui gouverne et qui guide 
Tous les flambeaux radieux 
De la ceinture du vide,
Tempéra le firmament 
Si bien, qu'il n'y eut planète, 
Étoile, ni élément 
Qui ne chérît la logette.
Qui ne croit que le soleil 
Mitirant ses traits encore, 
Dedans son pourpre vermeil, 
De sa face qu'il redore,
Encor qu'il fût rabaissé 
De l'hiver qui hérisonne, 
N'égalât le chaud passé 
Du beau printemps qu'il ordonne
L'humeur guide de la nuit, 
L'ombre, le froid, le silence, 
N'étaient lors en plein minuit 
En leur première ordonnance ;
Tout caressait cet enfant, 
Le ciel, la mer et la terre, 
Qui de l'enfer nous défend 
Et à la mort fait la guerre.
Afin que rien n'offensât 
La chair encor tendrelette 
Et le froid ne transperçât 
La petite bandelette.
Mais, Seigneur qui eût osé, 
Qui eût voulu entreprendre 
Sur toi qui as disposé 
Ce que toi seul peux comprendre ?
Voilà le beau corps d'hôtel 
Et la maison somptueuse 
Où le grand Dieu immortel 
Est né de la Vierge heureuse.
Tu te pourrais bien vanter 
Être la maison première 
Qui vois la Vierge enfanter 
De ce monde la lumière,
Lumière qui nous conduit, 
Lumière qui tout efface, 
Lumière qui nous réduit 
Au droit sentier de sa grâce.
Voyez donc l'enfantelet, 
Grand Seigneur de tout le monde, 
Qui suce et suce le lait 
D'une pucelle féconde ;
Qui doit un jour de sa croix 
Faire une telle ouverture, 
Qui malgré tous les abois 
De l'infernale clôture,
Brisera tous les efforts 
De cette bande orgueilleuse, 
Pour nos pères tirer hors 
D'une force merveilleuse.
Voilà donc l'enfant qui doit 
Purger notre maléfice, 
Qui, devant Dieu, nous rendait 
Exempts de son bénéfice ;
Donc Seigneur, brise l'effort 
Du péché qui nous surmonte, 
Par ta naissance et ta mort, 
Par la mort, qui la mort dompte.
 
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