À Léo Joubert.
Làbas, vers l'horizon du frais pays herbeux
Où la rivière, lente et comme désoeuvrée,
Laisse boire à son gué de longs troupeaux de boeufs,
Une grande bataille autrefois fut livrée.
C'était, comme aujourd'hui, par un ciel de printemps.
Dans ce jour désastreux, plus d'une fleur sauvage,
Qui s'épanouissait, flétrie en peu d'instants,
Noya tous ses parfums dans le sang du rivage.
La bataille dura de l'aube jusqu'au soir ;
Et, surpris dans leur vol, de riches scarabées,
De larges papillons jaunes striés de noir
Se traînèrent mourants parmi les fleurs tombées.
La rivière était rouge : elle roulait du sang.
Le bleu martinpêcheur en souilla son plumage ;
Et le saule penché, le bouleau frémissant,
Essayèrent en vain d'y trouver leur image.
Le biez du MoulinNeuf en resta noir longtemps.
Le sol fut piétiné ; des ornières creusées ;
Et l'on vit des bourbiers sinistres, miroitants,
Où les troupes s'étaient hardiment écrasées.
*
Et lorsque la bataille eut apaisé son bruit,
La lune, qui montait derrière les collines,
Contempla tristement, vers l'heure de minuit,
Ce que l'oeuvre d'un jour peut faire de ruines.
Pris du même sommeil, là gisaient par milliers,
Sur les canons éteints, les bannières froissées,
Épars confusément, chevaux et cavaliers
Dont les yeux grands ouverts n'avaient plus de pensées.
On enterra les morts au hasard... et depuis,
Les étoiles du ciel, ces paisibles veilleuses,
Sur le champ du combat passèrent bien des nuits,
Baignant les gazons verts de leurs clartés pieuses ;
Et les petits bergers, durant bien des saisons,
En côtoyant la plaine où sommeillaient les braves,
Dans leur gosier d'oiseau retenant leurs chansons,
Suivirent tout songeurs les grands boeufs aux pas graves.
Recueil : Paysages de mer et fleurs des prés
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