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Poème de André Suarès












 
Seul absolument seul.
Tous, ils dorment. Je veille. Je suis responsable du navire et de la marche. Je sors de la bourrasque ; j’échappe à la gueule du cataclysme : derrière moi encore, le ciel et la mer se mordent jusqu’aux dents, l’émail vole, et en leur rage le fou haineux, le vent, les excite. Tel j’ai été dans la tempête qu’au plein mol des grands calmes : Seul, irréparablement seul.
À présent, je vais dans le vent. Je me laisse porter, au point mort du cyclone.
Je ne vois que devant moi. Je laisse le brouillard à l’horizon qui ceinture la poupe, et de tous bords les mornes flottes du passé. Mais je sens ma trace battre, comme si la mer était mon flanc : un sillage de temps ! L’éternité est un sillage, et le voyage, et la pensée.
 
Seul. Absolument seul.
Le cercle du monde est pour moi ce qu’il est : c’est un zéro de nuit, en vain je suis au centre. Il marche avec moi qui crois marcher. Une lueur brûle au contour : le coucher de la lune, ou le premier regard de telle étoile, ou l’aube quand l’éternel devoir la réveille insupportablement.
N’étais-je pas un voyageur comme tous, que j’ai, ici, ce souci de la route et de l’équipage ?
Seul. Absolument seul. 










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