Dialogue de sourds

« Ta porte est dans mon dos, je sens presque ton corps
Peser sur le battant, là où je l’ai laissé.
Je te quittes, je pars de ce monde, je sors,
Laissant trop de moi-même au bord de ton palier.

-Je savais bien qu’un jour tu t’en serais allée,
Qu’il faudrait être fort, me battre pour survivre,
Oublier les douleurs que tu m’as apportées,
Et assécher mes pleurs pour continuer à vivre.

-Je savais qu’il faudrait, à un moment, m’enfuir,
Fuir en amour exsangue aux accents déchirants,
Fuir les douleurs, les cris, les peurs, les horreurs, fuir,
Fuir sans me retourner pour aller de l’avant.

-Je sais que ce moment était inévitable,
Qu’un jour elles viendraient, ces minutes atroces,
Sans frapper, calmement s’asseoir à notre table
Et dire la nouvelle de leurs voix féroces.

-Mais je ne voulais pas que ça tourne au mélo !
Mon âme entend encor les mots de ce serment
Qui toujours sonnera en moi comme un écho
Et qui restera la, endormi mais vivant.

-Oui mais moi, j’ai encor, au fond de la poitrine,
Les sanglots de ton cœur, et ma gorge en est pleine
De ces hoquets d’horreur, qui tordent mon échine
Et déchirent mon corps de douleur et de peine.

-Et je m’en suis allée, j'ai traversé ton seuil,
Laissant derrière moi un sillage de pleurs,
Emportant avec moi les stigmates des deuils :
Du sang dans les souliers, et des bleus pleins le cœur.

-Je te vois t’en aller. Mon cœur me hurle « Traître ! » ;
Mon âme est déchirée entre ce cri de rage
Et un sanglot confus qui voudrait reconnaître
Qu’il ne peut supporter d’oublier ton visage.

Ma démarche vacille, mes pas sont hésitants,
Tout mon corps se révolte et me dit « Demi-tour ! »
Mais mon cœur me murmure à chaque battement
« Ne te retournes pas, marche, avance toujours. »

-Et je t’ai vue partir, t’éloigner, disparaître,
A pas lents, chancelants, la démarche incertaine,
Et j’ai laissé couler le long de la fenêtre,
Comme un dernier baiser, une larme de peine. »