Les mouches sont des petits bouts de vie pleins
de colère ;
pourquoi sont-elles si en colère ?
on dirait qu’elles en veulent plus,
on dirait presque qu’elles sont
en colère
d’être des mouches ;
ce n’est pas ma faute ;
je suis assis dans la chambre
avec elles
et elles me reprochent
leurs souffrances ;
comme si c’étaient des
morceaux d’âme
détachés de quelque part ;
j’essaie de lire un journal
mais elles ne me laissent pas
exister ;
l’une semble décrire des demi-cercles
en haut du mur
en émettant un son lamentable
au-dessus de ma tête ;
l’autre, la plus petite,
reste là et taquine ma main,
sans rien dire,
se soulève, retombe,
rampe ;
quel dieu a lâché sur moi
ces créatures perdues ?
certains souffrent des diktats
d’un empire, d’un amour tragique...
moi, je souffre
d’insectes...
je chasse la petite,
ce qui paraît seulement ranimer
sa volonté de me défier :
elle tourne plus vite,
plus près, fait même
un bruit de mouche,
et celle d’en haut,
consciente de cette nouvelle
animation, à son tour, excitée,
accélère,
pique brusquement
avec comme un sifflement
et elles tournent ensemble
au-dessus de ma main,
cognent contre
l’abat-jour
jusqu’à ce que quelque chose d’humain
en moi
n’accepte plus ce
sacrilège
et je frappe
avec le journal roulé –
et rate ! –
frappe,
frappe,
elles rompent leur harmonie,
le message entre elles ne passe plus,
et j’ai la grosse
d’abord, qui est sur le dos
et agite les pattes
comme une putain en colère,
et j’abats de nouveau
mon journal matraque
et ce n’est plus que de la bouillie
d’horreur de mouche ;
la petite vole haut
maintenant, silencieuse et vive,
presque invisible ;
elle ne s’approche plus de
ma main ;
elle est domptée et
inaccessible ; je la laisse
exister, elle me laisse
exister ;
le journal, naturellement,
est foutu ;
quelque chose est arrivé,
quelque chose a entaché ma
journée,
quelquefois ça n’a pas
besoin d’être un homme
ou une femme,
simplement quelque chose de vivant ;
je reste assis et j’observe
la petite ;
nous sommes unis
dans l’atmosphère
et dans la vie ;
il est tard
pour nous deux.
Charles Bukowski, in Jouer du piano ivre comme d’un instrument à percussion jusqu’à ce que les doigts saignent un peu, 1970.
Deux mouches
Débuté par J.G. Mads, juil. 24 2008 12:33
5 réponses à ce sujet
#1
Posté 24 juillet 2008 - 12:33
#2
Posté 24 juillet 2008 - 10:09
je trouve ça assez chiant. ca doit être le découpage, et le reste.
#3
Posté 24 juillet 2008 - 11:31
"je trouve ça assez chiant. ca doit être le découpage, et le reste." ?
Le découpage est celui du poète... Chiant ? Chiant ?
Soit tu es de mauvaise foi, soit tu as des goûts de...
Comme je commence à me faire une idée de toi, je dois dire que je ne peux choisir !!!
Le découpage est celui du poète... Chiant ? Chiant ?
Soit tu es de mauvaise foi, soit tu as des goûts de...
Comme je commence à me faire une idée de toi, je dois dire que je ne peux choisir !!!
#4
Posté 25 juillet 2008 - 01:26
"nous sommes unis
dans l’atmosphère
et dans la vie ;
il est tard
pour nous deux."
dans l’atmosphère
et dans la vie ;
il est tard
pour nous deux."
#5
Posté 25 juillet 2008 - 03:40
Merci Povoite.
J'ai trouvé ça sublime, de dérision et de justesse. (et nous cherchons tous à écrire de grands poèmes sur de grands sujets ; sur l'anodin il y a tant à dire, nous rappelle-t-il)
J'irai dénicher le recueil demain.
(Et mon sentiment de solidarité est le suivant : souvent la nuit je passe des heures à parler aux moustiques pour établir un contrat en bonne et due forme : je vous laisse mon sang, vous me laissez dormir. Je ne vous chasserai pas, je n'irai pas dormir ailleurs, je n'achèterai pas de produits insecticide, tandis que vous aurez la bonté d'attendre que je dorme parfaitement pour venir sucer ma chair. Parfois, étrangement, le contrat se conclue.)
J'ai trouvé ça sublime, de dérision et de justesse. (et nous cherchons tous à écrire de grands poèmes sur de grands sujets ; sur l'anodin il y a tant à dire, nous rappelle-t-il)
J'irai dénicher le recueil demain.
(Et mon sentiment de solidarité est le suivant : souvent la nuit je passe des heures à parler aux moustiques pour établir un contrat en bonne et due forme : je vous laisse mon sang, vous me laissez dormir. Je ne vous chasserai pas, je n'irai pas dormir ailleurs, je n'achèterai pas de produits insecticide, tandis que vous aurez la bonté d'attendre que je dorme parfaitement pour venir sucer ma chair. Parfois, étrangement, le contrat se conclue.)
#6
Posté 25 juillet 2008 - 08:02
Ok Noctis
Si tu veux mon avis
Il va falloir en faire un poème de ton contrat avec les moustiques...
Bonne journée,
Povoite.
Si tu veux mon avis
Il va falloir en faire un poème de ton contrat avec les moustiques...
Bonne journée,
Povoite.