Là où les courses sont passées
Lorsque sa mère a téléphoné pour la deuxième fois
ce jour-là , elle a dit :
« J'ai plus de force. Je veux
sans cesse m'allonger. »
« Est-ce que tu as pris ton fer ? » a-t-il demandé.
Il tenait sincèrement à le savoir. Priant chaque jour,
désespérément, pour que le fer y fasse quelque chose.
« Oui, mais ça me donne faim, c'est tout. Et je n'ai
rien à manger. »
Il lui a rappelé qu'ils avaient fait des courses
pendant des heures ce matin. Rapporté
pour quatre-vingt dollars de nourriture dont ils avaient rempli
ses placards et le frigo.
« Y a rien à bouffer dans cette foutue baraque
à part des conneries et du fromage », a-t-elle dit.
Sa voix tremblait de colère. « Rien ! »
« Et comment va ton chat ? Comment se porte Kitty ? »
Sa voix à lui tremblait aussi. Il avait besoin
qu'ils parlent d'autre chose que de nourriture ; ce sujet
ne leur causait que du chagrin.
« Kitty, dit sa mère. Ici, Kitty,
Kitty, Kitty. Elle ne répond pas, chéri.
J'en suis pas certaine mais j'crois
qu'elle a sauté dans la machine à laver
au moment où j'allais faire une lessive. Et avant que j'oublie,
cette machine fait
un putain de bruit. Je crois qu'y a quelque chose
de cassé. Kitty ! Elle
ne répond pas. Chéri, j'ai peur.
J'ai peur de tout. Aide-moi, s'il te plaît.
Après, tu pourras retourner à ce que
tu étais en train de faire. A ce qui
est si important
que j'ai dû prendre la peine
de te mettre au monde. »
Raymond Carver, in La vitesse foudroyante du passé (trad. Emmanuel Moses), Ed. de l'olivier.

Là où les courses sont passées
Débuté par J.G. Mads, août 14 2008 11:20
Aucune réponse à ce sujet