Un "écrivain" qui pour toute gloire
Avait publié il y a fort longtemps
Un manuel portant sur les horaires des marées
En baie de Douarnenez...
Il clamait haut, il clamait fort
A qui voulait entendre
Que des grands écrivains
De Baudelaire à Rimbaud
Il était le cousin...
Son épicerie était devenue librairie
Conserves et épices ayant laissé place
Aux ouvrages les plus divers,
Aux recueils les plus précieux, les plus coûteux
Rien ne semblait trop beau pour donner le change
Les puissants amusés s'y pressaient
Plus par curiosité que faculté à y trouver la rime
Et rarement bourse ils y déliaient...
Dans ce village d'une campagne profonde
Il y avait naturellement un bedeau sans malice
Qui ne connaissait de l'école que le nom
Et à qui seul Monsieur le Curé avait trouvé grâce
L'employant en son église à des tâches de basse besogne
Un matin, un soir peut-être...
L'homme de Dieu envoya son valet
Quérir un ouvrage sur les Saintes Ecritures
Qu'il avait commandé auprès de notre bouquiniste..
A la vue du bedeau poussiéreux et trempé de sueur
Notre homme s'esclaffa tournant l'intrus en dérision
L'interpellant vivement en ces termes:
"Que me veux-tu l'ami ?
Je ne sais si entre ces quatre murs
Il y aura lecture pour ton état !
Presse le pas et retourne en ton sanctuaire
Balayer le sol et ranger les bancs...
Ta présence ici est une insulte à la culture
Et tu fais fuir mes comparses !
Après une révérence
Le visiteur égaré, apeuré tint d'une traite ce discours:
"Certes Monsieur, je ne suis ni très malin, ni très instruit.
Je n'ai jamais tourné les pages d'un livre
Jamais je n'ai cassé de craie sur un tableau noir
Mais je sais écouter et je vais vous rapporter
Ce que les anciens au café colportent sur votre renommée...
Les marées depuis toujours ont existé...
Les gens d'ici savent lire les signes de la nature
Ecouter, observer est le savoir de tous
Faire "parler" la lune et les étoiles,
Le souffle du vent, l'odeur de la pluie
Est science commune
Rien ne vient troubler l'immuable harmonie
Entre les êtres et les éléments
Les marin n'ont pas attendu l'avis
D'un obscur gratte papier
Pour savoir quand sortir en mer et tendre les filets
Toutefois votre bel ouvrage a trouvé place au bord des étals
Servant à envelopper les poissons
Et leur garder fraîcheur !
Pour ceci Monsieur, soyez remercié
Pour le reste, je m'en vais porter ce livre
A mon bon père qui saura me le lire à la veillée
Sans porter jugement sur ma faculté
A en comprendre le message...
Sur ces mots notre bedeau quitte l'antre du "malin"
Laissant l'homme de lettres à ses quittances
Car la vanité n'a jamais fait l'écrivain
L'écriture rarement fortune de son auteur
Mais plus sûrement les dettes
les créanciers...
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