« Elle pue, la vioque. Tu vas la niquer ? »
Ben mon cochon, vu la cuite que je tiens, je pourrai bien prendre ta place, je ne suis pas sûr qu’elle risquerait grand chose. Elle est pas jeune, mais je lui mettrai bien un coup, moi. L’alcool, ça rend moins timide. Et puis je ne suis pas bégueule. Lui il me regarde comme si je venais de je ne sais pas où, de mars ou quoi. Tu veux ma photo, ducon ? Tout jeune, tout beau, salaud de bourge. Monsieur ne tire que des canons, des bombasses blondes, avec son blé. Doit être pété de tunes, le bâtard. Je devrais le crever là , laisser sa gueule sur le trottoir, et me barrer avec mémé, on se fera la tournée des grands ducs avec l’oseille du petit crevard. Je plane. Si j’essaye un truc dans le genre, c’est lui qui m’envoie direct à la fosse commune. J’irais aussi bien tout seul, merci d’avoir proposé. Quelle mine, qu’est-ce que le monde tangue. Et ces lumières orange des éclairages de rue. Flippant. Un jour, quand le monde sera tellement pollué que les humains devront vivre dans des cavernes de béton et d’acier, sous d’énormes parapluie artificiels pour les protéger des feux du soleil, leur ciel sera le même. Néons orangés. Terre crevée. Il lui a filé son numéro de téléphone. Je suis sûr que c’est un faux, il se fout d’elle, comme j’aurais fais. Je vais le griller, ce morveux, tu vas voir. Je tapote sur mon téléphone. Sonne, ça sonne, putain, c’est le sien, il lui a vraiment donné le bon, ma parole !
« Mon con, tu lui as donné ton vrai numéro ! »
J’aurais du deviner. Avec sa gueule d’ange et son aire de premier de la classe. Fayot. J’en ai mis, des calottes, quand j’étais encore à l’école. Maintenant, tous devenus docteurs ou avocats, et moi je suis un nain. Je les hais. Tous comme lui. Un vrai saint, cet enfant de salope. Il me regarde ahurit, maintenant. Comme si je lui avais manqué de respect, à cette tapette. Quoi, ça te choque ? C’est contre ta morale ? Ben ça alors, t’es peut-être une tantouse à soutane, une sorte de curé de mes deux. Non, il y en a plus, des comme ça. Juste un bourge qui se la pète moi je ne suis pas comme vous, nous n’avons pas les même valeurs, tout le tralala. Mais moi aussi je saigne quand on me blesse, je pleure quand j’ai de la peine, je rigole quand je suis heureux. Et je ne rigole pas beaucoup, vous comprenez.
Moi je veux bien en avoir, des valeurs, filez-moi le blé. Et je n’en ai pas assez, juste pour survivre. Je suis une loque, je sais. Un lâche, je sais. Une sous merde. Et quoi ? Je n’ai pas le droit de vivre ? Je ne devrais pas sortir, devrais me taire et faire l’esclave toute ma vie ? C’est pourtant ce que je fais. Dégoûté de moi-même, encore trop satisfait de pouvoir m’enivrer et oublier le poids honteux de ce que je ne suis pas.
Parce que c’est pas lourd payé, de brosser les rues pour que leurs pouffiasses y fasse caguer leurs petits bâtards. Et puis de toute façon, ce que je gagne, je le bois. Rien ne se perd, tout se picole. Vingt dieux ! J’en tiens une bonne, ce soir, une vache de dose. Pas étonné qu’il ait frisé l’accident, cette petite tête de nœud. Qu’est-ce qu’il foutait sur ma route, aussi ? Il ne voyait pas que j’étais cramé au dix-neuvième degré ? Bon enfin, tout s’arrange. Je vais le laisser s’arranger avec sa petite vieille, et au lit.
« Je vais me pieuter, je suis mort saoul. »
Ben quoi ? Qu’est-ce que j’ai dis ? Je ne supporte pas sa gueule enfarinée. Mais quoi, il a un problème, le cobaye ? Il est puceau ? Il a peur de tringler mémère ? D’ailleurs, quand même, à cet âge là , elle a pas vu l’heure ou quoi ? C’est plus un âge pour se promener la nuit en voiture, il va t’arriver des bricoles, une de ces nuits. Il a jamais vu un mec rentrer bourré chez lui, avec sa sale morve au nez. J’ai les dents du fond qui baignent, je crois que vais gerber ma race. Faut que je me dépêche, rentrer à fond. Puis non, j’irai vomir dans la cage d’escalier, ils prennent tous l’ascenseur, ils s’en foutent. Ceux que ça gène auront qu’à nettoyer, bordel. Je ne vois plus rien. Ma gorge brûle et je sens la bile qui remonte. Je vois des rayons oranges couper ma nuit, et des traits rouges, des vieilles et des enfoirés qui me regardent. Arrêtez ça, tas de putes ! Il n’y a pas de spectacle, je m’en vais chez moi, et je vous envoie vous faire foutre tous autant que vous êtes. N’êtes qu’une bande de rat, sale bande de rat. Rats.
« Elle pue la vioque. Tu vas la niquer ? »
Hein ? Qu’est-ce qu’il raconte, ce type. Il est fou ? Non, j’ai mal entendu, sûrement. Pourtant, je ne crois pas. Elle a entendu, elle est outrée un peu et terrifiée, beaucoup. Je le vois. Qu’est-ce qui lui a pris ? Je déteste ce genre de mecs, grossier, vulgaire, sale, sans parler de sa crasse. Sorte de perversion de la misère. Bassesse. Là où le déterminisme social des gauchistes trouve sa limite infranchissable. Ce n’est pas la condition qui engendre la bassesse. Ce type fait partie des rats, des minables. On peut être pauvre et rester digne, c’est évident. Ce que c’est que d’être faible et fainéant. Ces gens là sont faillibles parce qu’ils sont mauvais. Il faudrait les éradiquer. Ils disent qu’ils vont le faire, maintenant qu’ils ont le pouvoir. Si seulement ils tenaient enfin leurs promesses. Il pue. Il doit être plein de mauvais vin ou de bière. Poivrot de basse classe.
Parie qu’il travaille pour la ville. Accent de con, mentalité de porc. On les reconnaît à dix kilomètres. Il a failli m’envoyer à la morgue. Bien sûr qu’il ne peut pas rouler droit, il est plus pété qu’un bûcheron. Et la femme, elle a du avoir la peur de sa vie. Heureusement, personne n’a rien, et sa voiture est nickel, à part une minuscule rayure. N’empêche que sans ce danger public, on ne se serait pas arrêter là , à échanger nos numéros de téléphone. Et encore il la ramène. En tôle, enfoiré !
« Mon con, tu lui as donné ton vrai numéro ! »
Pour qui me prend-il ? Bien sûr que j’ai donné mon véritable numéro. Je n’aurai jamais osé mentir à une pauvre dame. Je reconnais bien leur mentalité, à ces salauds de pauvres. Lamentable. Les valeurs d’aujourd’hui. Quel âge peut-il avoir, ce type ? Cinquante, soixante ans ? Il en parait largement plus, mais je suppose que c’est l’alcool qui le vieillit. Peut être qu’il n’a que quarante ans. La gnôle, ça ravage les corps et les faces. Et l’esprit. Mais je ne peux pas plaindre ce genre de rat. S’il est là où il en est, c’est de sa faute. C’est ça la vie. Ceux qui échouent ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes. Ceux qui réussissent, quels qu’en soient les moyens, sont les plus aptes à survivre. Le vrai sens du darwinisme est social, je l’ai toujours pensé. Il ne faut pas être trop laxiste avec ces gens là . C’est d’eux que nous tirons notre pouvoir, et sans eux, sans leurs vices, nous ne serions rien. Magique, cette farce dure depuis tellement longtemps, c’est un prodige. Plutôt, c’est notre force. Comme les chiens, tout se joue à la voix. Et il ne faut pas qu’ils sentent la peur. Dominer pour contraindre. Parler pour dominer. La différence entre moi, l’homme, et lui, la bête. Pouah. Il pue l’alcool.
« Je vais me pieuter, je suis mort saoul. »
Il s’en va, s’en rien ajouter. Titube, il va vomir ce porc. On devrait organiser des groupes pour terroriser ces enfoirés là , qu’ils n’osent plus sortir en attendant de crever chez eux. Rétablir des couvre-feux pour les racailles de son espèce. Il faut nous défendre contre ces gens là , nous l’avons enfin compris. Tout va bientôt changer. On va le mettre au pas le pochetron. Sûrement qu’il se drogue aussi, et que c’est un maniaque sexuel. Fiché, rangé. Une graine à finir en tôle. Doit la mériter déjà , depuis longtemps. Combien de fois il a du rentrer complètement ivre chez lui, risquant de tuer de pauvres gens ? Voleur aussi, sans doute. Ce genre là , ça rechigne à travailler, ça fraude sans arrêt, ça se corrompt, ça magouille, ça pique dans la caisse. Il faut les pratiquer. Classe dangereuse. Mauvaise haleine et dents gâtées. Que font les flics. Il faudrait que les juges soient plus sévères encore. Il faut nettoyer le pays, un grand coup de balais. Le bagne, ça avait quand même du bon. Ils doivent travailler, et dure encore. Droit du travail, aux chiottes. Il y les maîtres, et les esclaves. Race bourgeoise, race supérieure. Nous avons le droit de régner car nous sommes les plus forts. Nous avons tous les droits, sans partage, sur ces rats. Droits de l’homme. Faut en finir avec ça. Bon pour les gamines et les bonnes âmes. Il faut être pragmatique, efficace, dans l’action. Réussir. La sélection naturelle. Prédateurs, c’est ce que nous sommes.
« Elle pue la vioque. Tu vas la niquer ? »
Merdeux ! Il est beau, tiens, le pochetron qui sort ça. Il n’a pas vu sa tronche, ce poivrot. Il est plus rond qu’une queue de pelle, le pauvre. Comme si, à mon âge, j’avais encore envie de ça, comme si, à mon âge, quelqu’un pouvait encore avoir envie de ça. Après tout, pourquoi pas. Il est plutôt pas mal, le petit jeune. Je pourrai être sa mère, sa grand-mère même. Pas pour moi, viande trop fraîche, je me casserai les dents. Depuis le temps que je suis seule. Que je n’ai pas senti des bras virils m’entourer. Et leur odeur. Oui. Toujours cela qui m’a attiré, lorsque j’étais jeune. Cela me rappelait l’odeur de mon père, lorsqu’il revenait de l’usine noyé de transpiration. C’était l’odeur du bonheur, quand il me faisait sauter sur ses genoux, ou qu’il me serait dans ses bras en m’appelant sa fleur des collines. Et puis il est trop propre sur lui, le gamin. Il sent le déodorant bon marché à plein nez, le gel dans les cheveux. Maintenant, ils s’épilent, on ne fait même plus la différence entre les hommes et les femmes. J’aime encore les vrais corps du travail. Le corps de l’homme, pas celui du petit bourgeois maniéré. Parfois, des amis de papa venaient jouer aux cartes à la maison. Ils fumaient. Je me saoulais des fumées de tabac brun et des vapeurs d’alcool, lorsque étouffés de chaleur il se mettaient à suer leur vin rouge. Ils criaient, avec leur lourde voix de mâles, rauques. Leur muscle saillaient, et parfois, je voyais leurs mains formées à la forge frapper violement la table, cela jetait un froid silencieux et pesant, comme si une bagarre allait éclater, et puis un rire gras, épais, celui de mon père, tailladait soudain le silence, et tout le monde se mettait à rire également. J’avais terriblement chaud et je croyais avoir de la fièvre. Oui. C’était le bonheur. J’aimais ces hommes là . Et maintenant je suis seule, depuis tellement longtemps.
« Mon con, tu lui as donné ton vrai numéro ! »
Qu’il est gentil, mais quel con ce jeune. Il se croit supérieur à moi. Il a pitié de moi, comme si je ne pouvais pas me payer la réparation. Je m’en fous. Je le déteste pour ce geste. C’est du mépris. Je n’ai pas besoin de lui, de sa condescendance, de sa protection. Ce que je veux, c’est des hommes, des vrais. Pas qui font la charité, mais qui serrent le poing et vont au combat. Les manucurés et les efféminés, je laisse ça aux minettes. De toute façon, je suis un gibier qui ne les intéresse pas. D’où ils sortent, ces bourgeois, qu’est-ce qu’ils croient ? Qu’on est cons parce qu’on n’est pas comme eux, et qu’on ne veut pas le devenir ? Debout, les damnés de la terre ! Graine d’arriviste, graine de fasciste. Ils pétaradent tant qu’ils gagnent, et puis, quand ils comprennent qu’ils se font baiser, ils s’en prennent aux autres, à ceux qui, plus malins, n’ont pas voulu jouer le même jeu. Nous, on se serrait les coudes. Eux se battent chacun pour eux. Maintenant, nous sommes tous tout seul. Ils ont gagné. Mais pas pour toujours.
La révolte gronde. On la sent, comme l’autre sent le vin. Courbé devant son maître. Petit con qui te juge. Mais qui est-il, pour qui il se prend, ce petit con ? Il se prend pour notre maître, à moi et à l’autre chauffard, parce qu’il se croit riche et que nous ne sommes rien. Il nous renvoie à nos vieilles gueules que lui nous est supérieur, qu’il peut se permettre de me laisser son numéro de téléphone pour me faire rembourser une misère. En espérant que je n’appelle pas, trop de craintes de déranger le beau monsieur, le patron, le maître. Croient tous que ce temps là est fini. En vrai, personne ne le croit. Veulent nous le faire croire. La télé, les journaux, les publicités. Non, ça n’est jamais terminé, et là , ça repart en arrière. La roue tourne. Elle ne s’arrête ni sur le bien, ni sur le mal. Devait être pas mal, l’alcoolo, avant de se mettre à boire. Et puis picoler un coup de trop, c’est quand même pas bien grave. J’aime l’odeur de hommes qui boivent, des hommes qui travaillent, des vrais quoi. Pas des gravures de modes qui vont rêver les pucelles. Ah ! Si elles savaient ce que c’est qu’un véritable mâle. Un loup, un père, un protecteur.
« Je vais me pieuter, je suis mort saoul. »
Le pauvre, il me fait de la peine. Et puis moi aussi, je suis seule. Je vais le suivre, il aura besoin de quelqu’un, de moi. Et quand il aura dessaoulé, on verra. Peut-être que oui. Il me prendra des ses bras, je le serrerai dans les miens. Oui. Et je sentirai sa sueur fauve qui me rappellera celle de mon père quand j’étais une petite fille et qu’il rentrait tard le soir, qu’il avait joué aux cartes avec ses collègues ou qu’il revenait d’une réunion syndicale. Oui. J’aimerai bien cela, la chaleur d’un homme, lui ou un autre, qu’importe, pourvu qu’il lui ressemble. Oui. Je lui donnerai un baiser, oui, il me le rendra. Oui. Et il voudra baiser. Oui. Et je dirai oui, je veux bien. Oui.

ORANGE
Débuté par Dedalus, juin 25 2007 01:43
3 réponses ŕ ce sujet
#1
Posté 25 juin 2007 - 01:43
#2
Posté 25 juin 2007 - 03:21
c'est pas trop trop mal. y'a du contenu. assez direct, mais je ne sais pas. on pourrait en dire beaucoup sur tes derniers textes. je trouve que le style manque d'alternative, qu'il reste trop isolé du début à la fin. il manque des pauses, des silences, des respirations, des longues phrases, du trucs qui cassent le côté rythmique de ton truc à l'unique ryhtme. lol. bref, jlé lu. mais faut que tu casses certains trucs. tu peux pas balancer ça sur 200 pages, ça deviendrai trop chiant. ça manque de délire. enfin, ché pas, c'est ce que je ressens et, lol, je sais que ça vaut pas grand chose.
peace.
peace.
#3
Posté 26 juin 2007 - 04:20
"mais faut que tu casses certains trucs" Cela veut dire quoi? Casser, de l'action ???
"manque de délire" dans quel sens ?
Merci
Peace
"manque de délire" dans quel sens ?
Merci
Peace
#4
Posté 20 juillet 2007 - 03:46
yo