Pour toi, soldate Karine Blais,
Mais, avant tout, pour toi, surnommée "Ninine", notre amie,
Je te connais depuis ma plus tendre enfance. Nous avons toujours vécu la même petite rue de ce village minuscule. Cette grande famille d'un millier d'habitants où il est plutôt surprenant de ne pas connaître quelqu'un. De plus, nous avons partagé la même classe à la petite école, et ce, durant des années. Tu étais belle et drôle au point où je t'enviais. Nous avions quelques points en commun qui me faisait te considérer davantage quand j'étais petite : le même nom, la même rue, la même classe, le même âge, etc. Contrairement à moi, tu étais plutôt très extravertie et ainsi, comme pour certaines personnes que l'on envie ou que l'on admire, j'aimais bien rapporter quelques faits saillants à propos de toi, à ma mère, en revenant de l'école.
Tu faisais partie de ma vie.
Tu étais la sœur de tous dans notre petit village de 1 300 âmes.
Malheureusement, ce lundi, 13 avril, le cauchemar s'est abattu sur nous tous, gens de Les Méchins, sur ta famille bien aimée et sur le Canada en entier. Notre charmante Karine : une bombe t'a dramatiquement enlevée la vie pendant ton séjour en Afghanistan...
Aujourd'hui, je ne suis certainement pas là pour débattre à propos du sujet très controversé de la présence canadienne en territoire afghan. Je suis en deuil, tout comme ta grande famille, et la seule chose qui importe, en ce moment précis, est de respecter ta mémoire. Tout le monde sait, ici, que ton seul but personnel était de faire le bien, en un aide humanitaire et, comme ton grand-père l'a dit, dans ces circonstances, tu ne t'attendais pas à mourir cette semaine.
Et pendant que tous les médias canadiens parlent de la "cavalière tombée au front" et que les anglophones du Canada se disent en deuil d'une soldate, d'une héroïne, nous, tes frères et sœurs villageois, te pleurons pour la personne que tu étais et qui était avant tout, notre magnifique Karine. Les gens du village se serrent les coudes, en ce moment, pour réussir à passer au travers de ce drame. Ce qui est assez difficile à vivre pour ceux qui demeurent à l'extérieur de la communauté en ces jours douloureux, comme moi, et qui entendent constamment parler de toi, mais en tant qu'étrangère. Pour nous, le sentiment de solitude en ce deuil est immense.
Un autre fait désarmant est celui que Les Méchins est un petit village reculé qui ne fait jamais parler de lui. Il est alors très déstabilisant d'ouvrir la télévision pour voir ton décès décrié par le pays en entier. Le plus difficile est bien sûr de se ressasser constamment les images d'une dizaine de soldats transportant ta tombe orné d'un drapeau canadien. L'automutilation s'ensuit. Nous ne faisons que lire et relire les articles web tout en réécoutant les vidéos et cherchant des photos de toi sur Internet. Sans oublier que tu te trouve à être le premier soldat de Les Méchins décédé depuis la deuxième guerre mondiale. Tu étais même notre seul soldat à Les Méchins. (Mais, pourquoi a-t-il fallu que ce soit toi le 117ème ? Pourquoi a-t-il fallu que ce soit toi la première soldate québécoise à mourir pour cette guerre ?)
Il y a tout de même une chose dont je suis heureuse. Aujourd'hui tu peux être fière de toi, car tu es entrée dans l'histoire comme personne aux Méchins ne réussira à le faire. Pour beaucoup, tu as fait le sacrifice ultime en donnant ta vie pour la paix et la liberté (à seulement 21 ans). Tu es l'héroïne de notre village. Tu es l'héroïne du Québec et du Canada. Tu as reçu des hommages de milliers de soldats provenant de tous les pays. Les drapeaux à ton image fuseront la semaine prochaine, pour ton service militaire. C'est ce que tu aurais voulu.
Tu nous manqueras tellement Karine. Puisses-tu veiller sur tes chers parents, Josée et Gino, et ton petit frère Billy. Et contrairement au reste du Canada, je pourrai serrer ton père dans mes bras et je le ferai pour toi.
À travers le cauchemar et la tristesse d'une petite communauté, mais dans le cœur de tous les canadiens, nous ne t'oublierons jamais.
Puisses-tu reposer en paix, chère sœur.
Kareen Fortin



(Un groupe a été créé pour elle sur Facebook. 4200 personnes sont déjà membres et des centaines de commentaires porteurs de courage fusent de partout au Canada. Ces commentaires seront remis à la famille. Facebook n'est finalement pas si inutile qu'on peut le croire.)