Les pieds dans l’eau, à Kekova, il y a si longtemps que je regarde les poissons nager sur les toits engloutis. Ah être là -bas. Tellement rien à rêver, par ici. Oui, être là -bas. Et puis, il y aurait des raisins sans pépins, des pêches aplaties dans lesquelles on peut mordre comme dans un biscuit, il y aurait des abricots si doux, qu'ils donneraient leur nom à un dessert, il y aurait, sur la porte un talisman contre le mauvais oeil, et des fruits étranges que l'on appelle cornes de chèvres au goût de banane, il y aurait le parfum du jasmin, envoûtant la nuit, les plaisirs du soir, ouvrant leur corolle, il y aurait le bruit des rires sur les terrasses, des cris d'enfants dans la rue. Il y aurait ces chiens qui aboient sans savoir eux-mêmes pourquoi, semblant s’arrêter au milieu d’un mot, perplexes. Pas peu fiers, leur collier de la SPA au cou, mais restant libres de faire les fous au sein de leur gang. Il y aurait une lune telle une bulle jaunie, grimpant au rideau du ciel filé d’étoiles. Il y aurait, il y aurait la mer. La mer que l'on dit blanche quand elle s'éloigne de la côte, il y aurait le sable et les rochers se transformant les uns en autres. Il y aurait des grenouilles, un berger d'Anatolie et un âne qui jouerait aux échecs, il y aurait, le sentiment d'être à la maison. D'être bien. Et c'est là que mes cendres seront dispersées. J'ai su dès mon enfance que je ne saurai vivre loin de ce soleil. Je choisirai, enfin, ils choisiront pour moi, ceux qui restent, une forêt dévastée par un incendie et c’est là que je m’envolerai. Cendres parmi des cendres retrouver le magma. Quand je serai là -bas, je le verrai enfin, tous les jours, ce soleil qui a quitté mes yeux, dans ce putain de monde de glace.

