
COMPLAINTE DU GRAND INQUISITEUR
#1
Posté 19 juillet 2007 - 05:45
Je ne fais pas ça pour m’amuser
Mais parce que c’est mon métier
De ne pas désespérer l’humanité
Ni Billancourt d’ailleurs
(Ah non ! il est bien terminé, ce temps-là !)
1.
Soir
Soir triste
Si sinistre soir de la
Conscription
L’âme exsanguée
En tranche
Sanglée sans espoir
On repart à la guerre
Dès ce soir
Tragédie pathétique
De l’inutile mobile humain
Aux pornographiques dimensions
De cathédrale
Ce long soir des funérailles
Et des défilés
L’esprit hérétique et fêlé
Six pieds dansants impénitents
Effondrés sous les cœurs
Apostats
Débordés par des nuées
Calcinées d’acides
Ces incultes terres d’exil
2.
A l’intérieur
S’allonge un vaste continent de misère
A perte de vue
Bien après les tanières des monstres
Ecaillés
L’œil interne promenant
Nonchalamment
Aux steppes orientales
Beuglant des insultes
Plaquant approximativement des accords gourds
Claquant des portes
Grossièrement
Je me souviens
Je me souviendrais toujours
Des rythmes aphones
Des mélodies dévastées
Gammes de notes de silence
Je n’oublierais jamais
Ni le son des tambours
Ni celui tonitruant des canons
Cognant aveuglément
Celui de la chair déchiquetée
Corps en pièces carbonisés
S’agitant frénétiquement forcenés
Et après bien après
Les gravats encore fumants
La faim
L’absence de la lumière
Des lambeaux de murs désorientés
Et le vent
Croisant aux ultimes fenêtres
Orphelines de façades
Cours encore après les carreaux brisés des hier dévastés
Lancés comme des rasoirs
Dans l’air devenu bolide
3.
Horlogesque poésie rouillée de la conscience
Théâtre électrique
Quand gémissent d’égorgement les moutons
Sacrés simulacrons
Arme automatique
Tirant en rafales insouciantes
Ses théories tactiques insomniaques
Impacts ancrés
Les signes décillant de la mitraille
Sur le regard arriéré
Cri transcrit dans une marge inusitée du langage
Flux impur à tous
Babel !
4.
Il n’y a plus de chaîne
Toute la conscience
Concentrée
Dans un seul
Même
En exil en lui-même
Je ne suis plus aucun homme
Car j’ai endossé le sort
De tous
5.
Lue
J’ai lu
La répugnante prose dévergondée
Les tableaux rupestres de mes songes
Des champs incultes où s’enracinaient stériles des squelettes comme des hameçons agrippants dérisoires crochets impuissants le dais du ciel
La rage féroce dans les regards démâtés de haine
Des survivants
Conspuant l’être de seulement encore pouvoir être
6.
Là gît
L’homme
Volcanique îlot solitaire
Surnageant périlleusement
Au beau milieu
De la multitude humaine
Bataillons porcins
7.
J’ai crevé mon regard dans l’abîme de la nuit
J’ai entrevu
Derrière ses bannes kaléidoscopiques
La chair dévastée du Dieu mort
Terre aride
Improbable désir de pierres dissolues
Au loin
Un peu en deçà l’horizon désert
Je pouvais
Des meurtrières gonflées que faisaient mes paupières asséchées
Percevoir nettement les éclats de la bataille et les rugissements des pillards les agonistiques gémissements des femmes profanées et de leurs progénitures avortées dedans leurs rêves
Mes narines hennissaient de dégoût en reconnaissant le parfum écoeurant des festins humains
Mes yeux pleurnichaient le vent rabattant sournoisement les fumées noires des dernières bourgades en immolation
Je pouvais par mes félinesques pupilles voir des loups des rapaces avides de charognes putréfiées des scorpions tapis dans les recoins reposants du sable de vastes bandes de rats cannibales et pouilleux mais d’hommes
.
Voilà ce qu’il y avait à voir
Je suis tombé à genoux priant de rages
Crispé sur mon arpent de sol ardent protégé par mon souffle
J’ai hurlé à la lune des testaments entiers de psaumes inédits parodiant des jets d’envies
Déjections de vies
Dédites
8.
Pour venir à eux
J’ai traversé des mers de déserts
Mangé des racines plus sèches que du bois mort
J’ai résisté aux mirages
Certains plus suaves que des lèvres avides d’aimer
Depuis le commencement de l’algèbre des corps
Il n’y avait tout autours
Que des cailloux agressifs entrecoupés d’entrechats hallucinatoires
Quelques lézards des scorpions pâles des vipères
L’envie se dévorant
La volonté vaincue et la défaite consommée
Dans l’orgueil victorieux de l’acète triomphant
Les paradis artificiels du jeûne
Et ceux interdits
Des jouissances de la mortification
L’extase
Coït sacramentel
9.
J’ai découvert l’Humain
Prostré sous les stalactites de la raison
En faisant tomber
Un à un
Les pans maladroitement peinturlurés
De ma conscience
Maintenant
Je puis revenir à eux
10.
Je ne me suis pas présenté comme un libérateur
Ni en annonçant un quelconque avènement
Mais sous la pourpre bannière de mon Dieu de souffrance
Ils n’ont vu que la bête écornant les peuples et ravageant la chair du monde
Ils se sont soumis à mes armées de colères
Car moi seul savait la soumettre
Nos rîtes sont magiques et cannibales
Nos cultes et nos encens
Livrent aux transes hypnotiques
Les meutes d’hommes
Et font apparaître en filigrane sur leurs faces déformées
Le visage grimaçant de souffrance
Du rut
Du Sauveur
Moi
Je suis
Le Grand Inquisiteur
11.
Ils croient
Ils croiront en notre Dieu
Parce qu’ils connaîtront la puissance de nos canons
Et ils auront peur
Et ils nous remercieront
De porter leur fardeau
De soigner leurs plaies
De caresser leurs chagrins
Par nos mains crues et sans conscience
Par notre cruelle volonté
Nous édifierons patiemment
Aux siècles des siècles
Le fragile édifice de l’Humain
Dérisoire ingouvernable fatras
12.
Je ne suis plus si semblable du reste des hommes
Nos étoffes ne sont pas filées aux mêmes métiers
Je n’aspire ni à la quiétude ni au confort
Mais aux rudes conditions d’une armée en manœuvres
Mes vers n’appellent pas d’applaudissement
Mais des jets de pierres des crachats des coups
Des pendez-le ! Au milieu des lamentables hourra !
13.
Ces poèmes
Je les dirais
Toutes mes partances
Je n’ai plus besoin de vos dieux
Ni de votre compagnie
J’ai vécu toutes les vies
Vu tous les cieux
Agrippé la totalité du temps dans chaque gouttelette d’instant
Sirotant l’existence amère
Fortune tout autant qu’infortune
Ses moindres moments
Jusqu’aux pires tourments
L’enterrement d’un Dieu
Que l’on croyait sien
Que l’on croyait immortel
Ma lanterne est éteinte
Fanée depuis longtemps
Mais je me suis fabriqué
Des yeux de chat
Et une ouïe de chauve-souris
Puis surtout
Sur la nappe au pique-nique des étoiles
Il y a
Le grand festin insomniaque
De la lune
14.
Tu vois l’absence
La présence intime du manque
Touche l’inqualifiable sceau de l’exilé
Le désir nourrit de l’attente d’être satisfait
Délicieux supplice
De l’ironique démesure du vide
Sens l’axe
Vois-le
Ses angles abscons
Et leurs récifs aigus sur une crête venteuse de la conscience
Etre finitude désappointée
Réfléchie sur les granits étincelants
Des derniers souterrains increusés
De l’éternité
Immense dépotoir désaffecté de la matière
Aculturés
Les pilotes syphilitiques
Couchés au port asséché
Machines ignifuges
Surarmées âmes désâmées
Ces ministres apostats
15.
Voilà le beuglement des tambours
Majors leurs marches triomphales
Ecrasants de leurs plantes insensibles
Nos indolentes vestales sacrifiées
Scarifiées
Ventres en débords des coulures inhésitantes
Allant directement
Aux delta égoutiers
Fosses où décomposent
La morale et la pensée
16.
Je range
Je veux commencer à inscrire des souvenirs
Qui nous sont importants
Un homme était lÃ
Expirant sa missive universelle
De ceux qui étaient pour ceux qui seront
Et par-delà sa chair putréfiant
Le frisson parcourant vibratile l’échine rauque
Face aux survivants paradoxaux des énigmes
Traque
Traque
Renifle
Souviens-toi
Sisyphe en ce temps-lÃ
Etait heureux
En son exil consenti
Grasseyant grinçant
Son alphabet dérisoire
Ses primitifs balbutiements
Résonnantes
Peintures de sang
Jusqu’aux infinis élancements
Flux électriques
Architecturant fumigènes
Le Cosmos
17.
Le crissement d’une flûte égratignant la nacre pastel du début du jour
Eveil déçu bras brassant le vide d’un marin assoiffé d’écume
Ventre en gargouille et crâne en compression
Coincé à l’immobile lupanar amoché des déboutés du port
Sur des paillasses pleines de poux et humides encore
D’étreintes fauvesques dégainées à la pièce
Cervelles vaines avinées d’opiaques millésimes
18.
Nous étions une rude bande de jeunes gens
Fines bouches fauchés et œil glauque chamaillant indélicats
Les frelatées prudes jeunes filles au bordel en campagne
A cent coudées du port un pied toujours clapotant l’océan
19.
A la vigie
Ca ballottait sévère
Plus d’un ainsi se prit à lancer
Vers l’horizon reposant
Son déjeuner
A l’assaut parabolique
Des airs
On ne craignait ni le fouet ni la potence
Juste
Effleurer
Les dorsales immenses
Des grands fauves humains
20.
Fixée
La règle du jeu
De têtard
Nous dormions tard
Nous jouions peu
Un peu
Sans jouissance
A décroisser des placards
A démâter des pneus
A autopsier des cafards
Et il court il court plein d’entrain
Ce buste scabreux aux antennes atterrées
Il fonce
Sur son ridicule
Demi train de pattes
Et éclate
Gluanteur tiédasse
Entre mon pied nu
Et le carrelage froid
21.
Il fulmine
Celui-là Ã
Tête de taureau
Et corps d’homme
Narines dilatées
Débordantes de vapeurs
Il se prépare menaçant
A charger
Le beuglement furieux
Du poète
Sur l’immensité sableuse
De l’arène de son pauvre cahier
22.
Je suis le corps
Qui dicte la lumière
Je tiens
Le registre des inscriptions
Au livre de la Vie
#2
Posté 19 juillet 2007 - 06:11
#3
Posté 19 juillet 2007 - 06:21
s'il s'agit de savoir à quoi je pensais durant le long temps passé à l'écrire, et avant cela à l'élaborer, je t'avoue que j'ai du songer à bien des choses...
#4
Posté 19 juillet 2007 - 06:34
#5
Posté 19 juillet 2007 - 06:47
#6
Posté 19 juillet 2007 - 08:25
ceci dit, sans être un grand génie, ni y passer des heures et des heures, avec des passages comme :
10.
Je ne me suis pas présenté comme un libérateur
Ni en annonçant un quelconque avènement
Mais sous la pourpre bannière de mon Dieu de souffrance
Ils n’ont vu que la bête écornant les peuples et ravageant la chair du monde
Ils se sont soumis à mes armées de colères
Car moi seul savait la soumettre
[...]
Moi
Je suis
Le Grand Inquisiteur
ou encore :
11.
Ils croient
Ils croiront en notre Dieu
Parce qu’ils connaîtront la puissance de nos canons
Et ils auront peur
Et ils nous remercieront
De porter leur fardeau
De soigner leurs plaies
De caresser leurs chagrins
Par nos mains crues et sans conscience
Par notre cruelle volonté
Nous édifierons patiemment
Aux siècles des siècles
Le fragile édifice de l’Humain
je trouve qu'il faut être sacrément balèze pour y rien capter. mais bon, on tient de sacrés challengers ici.
#7
Posté 19 juillet 2007 - 08:27
[...] mais d'hommes .
Voilà ce qu'il y avait à voir
je vais pas tout citer non plus.
#8
Posté 19 juillet 2007 - 10:07
Dans ton texte Dedalus c'est tellement confus, qu'on te prend pour le bourreau des "sorcières" sur le bûcher. j'espère que je me trompe. y a quand même prescription non hein!
Bohémia
Que ne faut-il pas lire comme conneries. Un super commentaire et la supression du forum de discussion.
Grrrrrrrrrrrrrrrrrrrr
#9
Posté 19 juillet 2007 - 10:17
Reste en à Anna Gavalda et Marc Levy, tu devrais comprendre. Quant à la littérature, évite, ça pourrait te faire mal à la tête.
PS: Dostoiveski, Cendrars ou Hesse ne sont pas des joueurs de foot...
#10
Posté 19 juillet 2007 - 10:21
Alors, oui, peut-être suis-je inquisitrice, mais dans le sens péjoratif de la chose.
Aucun retournement aucun.
#11
Posté 19 juillet 2007 - 10:26
PS: pour le forum de discussion, j'espère qu'on ne va pas en rester là !
Peace.
#12
Posté 19 juillet 2007 - 11:11

#13
Posté 19 juillet 2007 - 11:13
PS: cette discussion, après coup, révèle bien le sens de ce poème, n'est-ce pas.
#14
Posté 19 juillet 2007 - 11:28
Je voulais simplement dire qu'il n'y a pas de littérature ou d'art qui ne soit accessible à presque tous, à condition d'en faire l'effort. Evidemment, La Divine Comédie requiert plus de travail que Les Neiges du Kilimandjaro, ce qui ne préjuge pas de la valeur des oeuvres. On pourrait simplement ajouter que la jouissance spirituelle qui se révèle à la lecture de Finnegans Wake est à la littérature ce que l'ascencion du K2 est à l'alpinisme. On peut tout à fait se contenter de collines.
#15
Posté 19 juillet 2007 - 11:39
#16
Posté 19 juillet 2007 - 11:47
#17
Posté 20 juillet 2007 - 12:02
#18
Posté 20 juillet 2007 - 02:32
#19
Posté 20 juillet 2007 - 09:38
Ne préjuge pas de choses dont tu ne connait même pas la signification.
"Mais cela a le mérite d'être bien écrit. Bien à toi."
LOL. Merci de me le dire, j'attendais avec impatience ton jugement sur ma langue, étant donné que tu es un critique fin et savoureux... Merci de me rassurer.
#20
Posté 20 juillet 2007 - 12:26
#21
Posté 20 juillet 2007 - 12:33
#22
Posté 20 juillet 2007 - 12:40
J'y trouve les gens beaucoup plus chaleureux.
Il y a même des routes et des hommes sur les routes.
Et des parcs pour les rikikis.
Et des gens qui marchent. Et des gens qui sortent leur gros pénis, et des gens qui immobilisent les petites filles bien bonnes, de 10 11 ans, sans poils, mais bonnes, bonnes comme des glaces très bonnes.
#23
Posté 20 juillet 2007 - 03:17
"Il n’y a plus de chaîne
Toute la conscience
Concentrée
Dans un seul
Même"
Je kiffe.
Après, c'est quand même chiant d'avoir si peu de verbe au futur. En même temps, le feu où tu t'engages n'est pas forcément fait pour voir demain. je pense pourtant qu'il devrait y mener. Dans la 11 ou la 13, vaguement, tu mets au futur et paf, du coup, tu te mets à parler de Dieun de dieux, de peur et compagnie. ca n'est pas un reproche, hein, sans doute est-ce voulu et je trouve que c'est bien vu... n'empêche que c'est chiant.
"Ils croient
Ils croiront en notre Dieu
Parce qu’ils connaîtront la puissance de nos canons
Et ils auront peur"
Là , ici, à la 12, j'y reviens encore, à cette violence. Cool. Parce que je me sens assez dans une étape om je comprends ces mots-là :
"Mes vers n’appellent pas d’applaudissement
Mais des jets de pierres des crachats des coups
Des pendez-le ! Au milieu des lamentables hourra !"
... la finalité est-elle la solitude ou le contre poids ? Je passerai sans doute par d'autres chemins plus tard, mais là , c'est trois lignes vont direct du nez au cerveau. Cool.
Vite fait, j'embarque ce petit morceau de la 14 :
"Le désir nourrit de l’attente d’être satisfait" on dirait un pub pour TF1. C'est délicieux.
Ensuite, là ... :
"Des derniers souterrains increusés
De l’éternité" j'ai pensé fort à Dostoïevski et j'ai trouvé que c'est vraiment nul d'écrire un truc pareil. Et en même temps... personne n'est à l'abri. ce qui est moyen, c'est le "dernier". Comme si on les avait déjà presque tous épuisé avant tellement avant c'était bien. Y'en a encore une infinité... la désintellectualisation actuelle enfantera, je veux l'imaginer, des être assoiffés d'une eau dont ils ne connaissent pas le goût. D'un eau qui les appellera par les tripes et non plus par l'héritage.
Vite fait encore, ça :
"Ventre en gargouille et crâne en compression" tout seul comme ça, c'est digne des titres des oeuvres de Xenakis et pourtant mis au milieu de tout ce flot, c'est hyper dévastateur.
La 20, est de mon point de vue, un vrai, vrai effort, un vrai truc qui plane haut.
"Fixée
La règle du jeu
De têtard
Nous dormions tard
Nous jouions peu
Un peu
Sans jouissance
A décroisser des placards
A démâter des pneus
A autopsier des cafards"
Et alors ça... "le livre de la vie"... franchement, t'aurais dû t'arrêter avant. Mais bon. A le relire encore, là , le "je suis le corps" me semble important.
"Je suis le corps
Qui dicte la lumière
Je tiens
Le registre des inscriptions
Au livre de la Vie"
Conclusion... y'a comme la sensation d'être passé sous un rouleau compresseur, y'a comme une colère obscure parfaitement légitime. Y'a comme des absences et des vides : mais la force et la volonté qui ont construit certains passages remplissent bien l'espace. Et quand je dis "remplissent", je parle de matière.
Jaguar, en fouillis.
#24
Posté 24 juillet 2007 - 05:26