
Le Peintre Errant
#1
Posté 08 août 2007 - 09:43
J’écris. Sans but, sans motif, sans soutien, sans personne pour me le suggérer, sans personne pour me l’interdire. Sans personne pour m’apprendre à le faire, sans autre professeur que le désir ou la fêlure. Même pas pour me distraire. Si je n’écris pas, là , je respirerai quand même. Parfois, j’aime bien croire que non, que je mourrais de me taire. Mais c’est un air qu’on aime se donner. Après tout, si je n’écrivais pas, je transposerais en autre chose. En course à pieds ou en prière. Peu importe.
Avant je me disais « dans neuf jours, je publie un bouquin ». Comprenez, ce genre de sensation est un feu de paille, aussitôt qu’on réalise qu’il n’y aura jamais personne pour applaudir. Ecrire, c’est se perdre sans jamais pouvoir attraper la main d’un adulte bienveillant qui nous ramènerait sur le chemin. Ni motif, ni guide. Ni famille. Toutes ces sécurités que l’on doit subir ailleurs, sont absentes des mots que l’on habite. Et je ne peux plus attendre d’être enfin vaincue. Tête baissée, je m’engouffre, terrorisée par ce désir. Celui de vous trouver, là où vous n’êtes pas, dans l’obscure vibration de la solitude. Là où je est l’opposé de vous autant que sa racine. Je n’écris ni vers l’amont, ni vers l’aval. Je suis en crue et je peux déborder n’importe où. Je n’ai pas de but, parce que j’ai peur. J’ai peur est j’aime être dissonante en écroulant les remparts. J’écris, fascinée par l’incohérence et la déraison.
Les objets n’écrivent pas. Je suis sûre de ne pas en être un. Si c’était le cas, je ne serai même pas capable d’en être malheureuse. Et lorsque l’on m’assaille de buts et de motifs, je respire quand même. Je ne meurs pas. Car la mort ne se provoque pas. Elle se désire, en un instant. Tout autant que la vie.
Qu’y avait-il, dans mon attente ? Quel confort était mon geôlier ? Et comment cette digue a cédé, je ne sais pas. Et même, je m’en désintéresse. Je suis sûre de ne pas être un objet. Il n’y a pas de diamant, pas de cendre, pas d’explication, dans l’écriture. Pas d’héroïsme. Personne pour applaudir. Parce que l’écriture n’est pas grand-chose. Elle flirt ici et là , mais on reste seul, au cœur d’un crépitement insensé. Et nos gestes sont insensés. Celui d’écrire. Celui de faire du thé. Celui qui écrit n’existe pas mieux que son opposé. Même pas après des pages et des pages. Même pas après toute une vie de pages. Les pages sont des objets.
Et puis à bien y réfléchir, il n’y a que la digue qui m’intéresse, car elle m’empêche moi. Les remparts n’empêchent que vous. Vous vers moi. D’eux, il faut se dessaisir. Dehors n’est pas un danger. C’est la crue obscure des entrailles que nous pouvons craindre. C’est elle qui parle de la solitude. Elle encore, je crois, qui dit la vérité, honnêtement, loin des mâchicoulis et des meurtrières. Peut-être faut-il être honnête pour changer.
Et comme je n’ai aucun but, je ne poursuis rien ici. Je ne cherche rien du tout. Si vous pensez que je cherche à bâtir, abstenez-vous. Ou justement, ne vous abstenez pas. Venez vous frotter ici à l’absence de justification. Je ne motiverai pas mon incohérence, parce que la crue est honnête. Elle ne dit pas ce qu’elle ne peut dire. Elle bouillonne là , libre des digues. Elle cède, de toute sa force. La crue est une défaite vers laquelle je marche sans motif. Ce faisant, je découvre ce que je ne connais pas. Ici, dans les marais limoneux, je ne reconnais rien. Je suis perdue, sans pouvoir attraper la main d’un adulte bienveillant qui me ramènerait sur le chemin sec et solide du sommeil. Ici, je me blesse et je tombe.
Je me blesse sur mes propres épines. Je tombe de mes propres falaises. Je change, ici. Dans l’instant de l’écriture ou du thé qui chauffe sur la gazinière. Et les mots ne m’aident pas. C’est vrai, écoutez ces mots-là : rien et tout. Ils m’empêchent. Ils me déshumanisent. Et vous aussi. Essayons le tout. Essayons. Honnêtement.
Je dis tout s’achète. Et puis, pour voir, sans but et sans motif, je dis maintenant : on peut acheter de l’eau de javel, des bombons, une montre, une maison, des murs, un crayon HB, des graines, un tendeur pour accrocher son sac sur le garde-boue du vélo, une conduite, un double de clé, un honneur. On peut acheter du repos, du temps. Une plage pleine de pétrole… on peut en acheter. Des dents en or, des protéines. On peut acheter la santé. On peut acheter des mots, des oiseaux. On peut s’acheter soi-même. On peut acheter quelqu’un ou quelqu’une. Acheter du thé pour le faire bouillir. Acheter des livres, de la connaissance, des blocs de foie gras, un tee-shirt des Rolling Stones. On peut acheter l’amour de sa mère, et des ampoules de 40 watts.
Voyez. Tout est un menteur. Quand on le prononce, on rehausse la digue, on s’éloigne. Et on subit sa protection démoralisante. Tout s’achète. On sait bien que… mais…
Mais honnêtement, essayons encore le tout. Je dis maintenant la guerre tue tout le monde. Et puis je dis la guerre tue les soldats, les régiments, les troupes, les civils. Elle tue les poules, le hamster de ta petite nièce, les infirmières, les écoliers, les professeurs. La guerre tue les stars, les footballeurs, mon grand frère, ma grande sœur, et mon petit frère aussi. Elle tue le vin rouge et le Sylvaner, elle tue le type qui est souvent à l’arrêt du bus L à 17h56, elle tue les personnes en fin de vie, les athlètes, elle tue les fonctionnaires, les pensionnés, les gymnastes. Elle tue même les compositeurs. Oh, vous savez bien que je pourrais continuer sans m’arrêter. On n’arrête pas les crues.
Voyez. Tout ne dit pas tout. Tout réduit. Evide. Tout n’est rien qu’on mot qui ne dit pas ce qu’il est, parce qu’il n’est rien. Ce n’est qu’en le mettant à sa juste place, que nous, qui l’écrivons, le rendons honnête. Que nous, qui l’écrivons, le rendons ouvrier, titan. Les mots ne nous aident pas. Ils sont des cadavres qui attendent. Ils attendent tant qu’ils sont morts. Ils sont morts tant qu’ils attendent. Je connais l’attente, déjà . Moi aussi, j’attendais, sans but précis. Maintenant, j’écris. Je dis les mots et ils ne sont plus morts. Sans motif, qu’ils réduisent ou qu’ils mentent, je les dis. Mais je pourrais très bien faire de la course à pieds ou prier. Ca n’a pas d’importance.
Ou bien peut-être aussi que ce sont eux qui nous habitent. Les mots. Ca n’a vraiment aucune espèce d’importance. Déjà , je m’en désintéresse. Déjà , la lumière a changé. Il est temps de partir, il se fait tard. Je reviendrai demain.
#2
Posté 09 août 2007 - 12:57
#3
Posté 09 août 2007 - 11:01
Je ne sais pas pourquoi… j’attendais, j’attendais. Et je voulais pourtant, mais j’attendais sans motif. Il ne s’agit pas d’un enchantement. J’écris. Ni pour moi, ni pour personne et pourtant nous nous rencontrerons. Après l’attente, la disparition de l’attente. J’ai cessé d’attendre, en un instant, et je ne sais pas pourquoi. Et même, je m’en désintéresse. Quelque chose est mort et quelque chose est né. Ecrire, commencer à écrire, c’est perdre son innocence. Ou justement, la garder. Je ne sais pas. Et même, je m’en désintéresse.
J’écris. Sans but, sans motif, sans soutien, sans personne pour me le suggérer, sans personne pour me l’interdire. Sans personne pour m’apprendre à le faire, sans autre professeur que le désir ou la fêlure. Même pas pour me distraire. Si je n’écris pas, là , je respirerai quand même. Parfois, j’aime bien croire que non, que je mourrais de me taire. Mais c’est un air qu’on aime se donner. Après tout, si je n’écrivais pas, je transposerais en autre chose. En course à pieds ou en prière. Peu importe.
Avant je me disais « dans neuf jours, je publie un bouquin ». Comprenez, ce genre de sensation est un feu de paille, aussitôt qu’on réalise qu’il n’y aura jamais personne pour applaudir. Ecrire, c’est se perdre sans jamais pouvoir attraper la main d’un adulte bienveillant qui nous ramènerait sur le chemin. Ni motif, ni guide. Ni famille. Toutes ces sécurités que l’on doit subir ailleurs, sont absentes des mots que l’on habite. Et je ne peux plus attendre d’être enfin vaincue. Tête baissée, je m’engouffre, terrorisée par ce désir. Celui de vous trouver, là où vous n’êtes pas, dans l’obscure vibration de la solitude. Là où je est l’opposé de vous autant que sa racine. Je n’écris ni vers l’amont, ni vers l’aval. Je suis en crue et je peux déborder n’importe où. Je n’ai pas de but, parce que j’ai peur. J’ai peur est j’aime être dissonante en écroulant les remparts. J’écris, fascinée par l’incohérence et la déraison.
Les objets n’écrivent pas. Je suis sûre de ne pas en être un. Si c’était le cas, je ne serai même pas capable d’en être malheureuse. Et lorsque l’on m’assaille de buts et de motifs, je respire quand même. Je ne meurs pas. Car la mort ne se provoque pas. Elle se désire, en un instant. Tout autant que la vie.
Qu’y avait-il, dans mon attente ? Quel confort était mon geôlier ? Et comment cette digue a cédé, je ne sais pas. Et même, je m’en désintéresse. Je suis sûre de ne pas être un objet. Il n’y a pas de diamant, pas de cendre, pas d’explication, dans l’écriture. Pas d’héroïsme. Personne pour applaudir. Parce que l’écriture n’est pas grand-chose. Elle flirt ici et là , mais on reste seul, au cœur d’un crépitement insensé. Et nos gestes sont insensés. Celui d’écrire. Celui de faire du thé. Celui qui écrit n’existe pas mieux que son opposé. Même pas après des pages et des pages. Même pas après toute une vie de pages. Les pages sont des objets.
Et puis à bien y réfléchir, il n’y a que la digue qui m’intéresse, car elle m’empêche moi. Les remparts n’empêchent que vous. Vous vers moi. D’eux, il faut se dessaisir. Dehors n’est pas un danger. C’est la crue obscure des entrailles que nous pouvons craindre. C’est elle qui parle de la solitude. Elle encore, je crois, qui dit la vérité, honnêtement, loin des mâchicoulis et des meurtrières. Peut-être faut-il être honnête pour changer.
Et comme je n’ai aucun but, je ne poursuis rien ici. Je ne cherche rien du tout. Si vous pensez que je cherche à bâtir, abstenez-vous. Ou justement, ne vous abstenez pas. Venez vous frotter ici à l’absence de justification. Je ne motiverai pas mon incohérence, parce que la crue est honnête. Elle ne dit pas ce qu’elle ne peut dire. Elle bouillonne là , libre des digues. Elle cède, de toute sa force. La crue est une défaite vers laquelle je marche sans motif. Ce faisant, je découvre ce que je ne connais pas. Ici, dans les marais limoneux, je ne reconnais rien. Je suis perdue, sans pouvoir attraper la main d’un adulte bienveillant qui me ramènerait sur le chemin sec et solide du sommeil. Ici, je me blesse et je tombe.
Je me blesse sur mes propres épines. Je tombe de mes propres falaises. Je change, ici. Dans l’instant de l’écriture ou du thé qui chauffe sur la gazinière. Et les mots ne m’aident pas. C’est vrai, écoutez ces mots-là : rien et tout. Ils m’empêchent. Ils me déshumanisent. Et vous aussi. Essayons le tout. Essayons. Honnêtement.
Je dis tout s’achète. Et puis, pour voir, sans but et sans motif, je dis maintenant : on peut acheter de l’eau de javel, des bombons, une montre, une maison, des murs, un crayon HB, des graines, un tendeur pour accrocher son sac sur le garde-boue du vélo, une conduite, un double de clé, un honneur. On peut acheter du repos, du temps. Une plage pleine de pétrole… on peut en acheter. Des dents en or, des protéines. On peut acheter la santé. On peut acheter des mots, des oiseaux. On peut s’acheter soi-même. On peut acheter quelqu’un ou quelqu’une. Acheter du thé pour le faire bouillir. Acheter des livres, de la connaissance, des blocs de foie gras, un tee-shirt des Rolling Stones. On peut acheter l’amour de sa mère, et des ampoules de 40 watts.
Voyez. Tout est un menteur. Quand on le prononce, on rehausse la digue, on s’éloigne. Et on subit sa protection démoralisante. Tout s’achète. On sait bien que… mais…
Mais honnêtement, essayons encore le tout. Je dis maintenant la guerre tue tout le monde. Et puis je dis la guerre tue les soldats, les régiments, les troupes, les civils. Elle tue les poules, le hamster de ta petite nièce, les infirmières, les écoliers, les professeurs. La guerre tue les stars, les footballeurs, mon grand frère, ma grande sœur, et mon petit frère aussi. Elle tue le vin rouge et le Sylvaner, elle tue le type qui est souvent à l’arrêt du bus L à 17h56, elle tue les personnes en fin de vie, les athlètes, elle tue les fonctionnaires, les pensionnés, les gymnastes. Elle tue même les compositeurs. Oh, vous savez bien que je pourrais continuer sans m’arrêter. On n’arrête pas les crues.
Voyez. Tout ne dit pas tout. Tout réduit. Evide. Tout n’est rien qu’on mot qui ne dit pas ce qu’il est, parce qu’il n’est rien. Ce n’est qu’en le mettant à sa juste place, que nous, qui l’écrivons, le rendons honnête. Que nous, qui l’écrivons, le rendons ouvrier, titan. Les mots ne nous aident pas. Ils sont des cadavres qui attendent. Ils attendent tant qu’ils sont morts. Ils sont morts tant qu’ils attendent. Je connais l’attente, déjà . Moi aussi, j’attendais, sans but précis. Maintenant, j’écris. Je dis les mots et ils ne sont plus morts. Sans motif, qu’ils réduisent ou qu’ils mentent, je les dis. Mais je pourrais très bien faire de la course à pieds ou prier. Ca n’a pas d’importance.
Ou bien peut-être aussi que ceux sont eux qui nous habitent. Les mots. Ca n’a vraiment aucune espèce d’importance. Déjà , je m’en désintéresse. Déjà , la lumière a changé. Il est temps de partir, il se fait tard. Je reviendrai demain.
bien sûr que le constat est amer,dessechant,derisoire et il doit l'être même pour ceux qui sont dans la lumière qui "reussissent" avec leurs mots mais bah,ca aide a passer le temps et mieux que les mots croisés,c'est pas du temps perdu, en tous cas du temps qui n'appartient qu'a toi qu'a nous,laps de temps durant lequel on aura laissé une petite trace et puis tu reviendras demain,tiens je parie que t'es déjà de retour
#4
Posté 09 août 2007 - 11:59
Je crois savoir, mais je n'en suis pas sûre, je crois que (lecture faite), elle est très longue, et je comprends combien, cette petite voix voudrait se faire entendre, mais, je ne sais, hélas, je voudrais te dire que je t'aime, beaucoup de choses ainsi. Mais, je suis si idiote, si inexpérimentée, que je ne sais. Aussi, aussi, j'ai très peur, j'ai peur que tu t'enfuies. Oui, comprends-tu c'est pas si évident de le dire. Mais, je sais, toi, tu comprends, d'ailleurs tu comprends tout. C'est si rassurant, mais j'ai si tellement peur. Encore.
Peur heureuse... merci pour ce com, déesse. Vertigineux.
Jaguar.
#5
Posté 09 août 2007 - 12:11
bien sûr que le constat est amer,dessechant,derisoire et il doit l'être même pour ceux qui sont dans la lumière qui "reussissent" avec leurs mots mais bah,ca aide a passer le temps et mieux que les mots croisés,c'est pas du temps perdu, en tous cas du temps qui n'appartient qu'a toi qu'a nous,laps de temps durant lequel on aura laissé une petite trace et puis tu reviendras demain,tiens je parie que t'es déjà de retour
Amer ? C'est vrai, tu trouves ? Je sais pas, moi j'me suis sentie assez heureuse pendant cet exercice. Et puis, je ne suis pas peintre.
Non. Comme tu dis. C'est pas du temps perdu.
Jaguar.
#6
Posté 09 août 2007 - 12:35
J'aime beaucoup ce texte tel un chant ample, intense, et qui prend aux tripes; à la rencontre de l'autre, des autres: obstinément, obscurément.
J'aime cette approche introspective de l'écriture qui conduit la plume à poser les mots de 'l'inattendu' sur le velin du poème dans la fascination de ce qui se donne à être.
J'aime la façon dont la dimension restrictive du - tout - travaille dans votre texte, toujours comme un courant, comme une vague qui emporte et qui creuse le plein et le vide, le tout et le rien, le soi et la limite, la vie, la vie qui nous façonne loin...
J'aime cette écriture douce, fine, progressive, - qui m'évoque ces fontaines cascade en paliers-, dont on suit la progression jusqu'au retournement.
Retournement comme un décalage, un écart, une ouverture encore qui nous déporte et nous centre sur le sujet, l'objet, le / les personnage(s), le narrateur, le poéte ... et pour le coup, accompagne redouble et agrandit le champ des significations.
Eclairage en rapproché, révélateur / révélant la non-coïncidence et l'altérité de l'écriture poétique dans un double mouvement interne/externe qui chercherait à débusquer l'absolu en l'instant de"l'obscure vibration de solitude" habitée, sur les chemins d'écriture en soi. L'opacité du chant, ainsi réinvestie, s'offre alors à l'appropriation silencieuse de ses contenus toujours multiples et fuyants.
Votre méticuleuse et profonde réflexion sur la poésie donne beaucoup. Je vous en remercie.
A vous lire bientôt.
#7
Posté 09 août 2007 - 01:15
une ouverture encore qui nous déporte et nous centre
"Maintenant porte
Si peu de temps
Et l'ombre que l'on écarte
Déporte les enfants".
Il faut que je le relise ton com... Merci de l'avoir détaillé. A ta façon. Intellecutellement, je crois.
Jaguar.
#8
Posté 09 août 2007 - 03:12
Pour quel insolite?
insolite cs?
insolite ics?
Choisit-on le poéme? l'écriture?
Le poème nous choisit-il?
Bien à vous!
#9
Posté 09 août 2007 - 04:41
Vive le clair obscur, dans toute situation dérisoire, une lumière rieuse léchant un couloir; dans toute situation trop belle, une brèche infiltrante affolant les foules......
Bien à toi poétesse affolante!
#10
Posté 09 août 2007 - 04:56
Vive le clair obscur comme disait si bien un poète dont j'ai déjà oublié le nom tant j'étais imprégnée de sa main pétrissant ma chair -était-elle menue, était-elle massue?-, le mot comme un poignard, le mot comme un souffle, le mot comme identité, le mot lâche, le mot triomphant, le mot pur, le mot trodu.......
Vive le clair obscur, dans toute situation dérisoire, une lumière rieuse léchant un couloir; dans toute situation trop belle, une brèche infiltrante affolant les foules......
Bien à toi poétesse affolante!
Affolante, je ne sais pas. Affolée, sans doute.
Merci d'avoir lu !
Jaguar.
#11
Posté 09 août 2007 - 07:20
Je ne sais pas pourquoi… j’attendais, j’attendais. Et je voulais pourtant, mais j’attendais sans motif. Il ne s’agit pas d’un enchantement. J’écris. Ni pour moi, ni pour personne et pourtant nous nous rencontrerons. Après l’attente, la disparition de l’attente. J’ai cessé d’attendre, en un instant, et je ne sais pas pourquoi. Et même, je m’en désintéresse. Quelque chose est mort et quelque chose est né. Ecrire, commencer à écrire, c’est perdre son innocence. Ou justement, la garder. Je ne sais pas. Et même, je m’en désintéresse.
J’écris. Sans but, sans motif, sans soutien, sans personne pour me le suggérer, sans personne pour me l’interdire. Sans personne pour m’apprendre à le faire, sans autre professeur que le désir ou la fêlure. Même pas pour me distraire. Si je n’écris pas, là , je respirerai quand même. Parfois, j’aime bien croire que non, que je mourrais de me taire. Mais c’est un air qu’on aime se donner. Après tout, si je n’écrivais pas, je transposerais en autre chose. En course à pieds ou en prière. Peu importe.
Avant je me disais « dans neuf jours, je publie un bouquin ». Comprenez, ce genre de sensation est un feu de paille, aussitôt qu’on réalise qu’il n’y aura jamais personne pour applaudir. Ecrire, c’est se perdre sans jamais pouvoir attraper la main d’un adulte bienveillant qui nous ramènerait sur le chemin. Ni motif, ni guide. Ni famille. Toutes ces sécurités que l’on doit subir ailleurs, sont absentes des mots que l’on habite. Et je ne peux plus attendre d’être enfin vaincue. Tête baissée, je m’engouffre, terrorisée par ce désir. Celui de vous trouver, là où vous n’êtes pas, dans l’obscure vibration de la solitude. Là où je est l’opposé de vous autant que sa racine. Je n’écris ni vers l’amont, ni vers l’aval. Je suis en crue et je peux déborder n’importe où. Je n’ai pas de but, parce que j’ai peur. J’ai peur est j’aime être dissonante en écroulant les remparts. J’écris, fascinée par l’incohérence et la déraison.
Les objets n’écrivent pas. Je suis sûre de ne pas en être un. Si c’était le cas, je ne serai même pas capable d’en être malheureuse. Et lorsque l’on m’assaille de buts et de motifs, je respire quand même. Je ne meurs pas. Car la mort ne se provoque pas. Elle se désire, en un instant. Tout autant que la vie.
Qu’y avait-il, dans mon attente ? Quel confort était mon geôlier ? Et comment cette digue a cédé, je ne sais pas. Et même, je m’en désintéresse. Je suis sûre de ne pas être un objet. Il n’y a pas de diamant, pas de cendre, pas d’explication, dans l’écriture. Pas d’héroïsme. Personne pour applaudir. Parce que l’écriture n’est pas grand-chose. Elle flirt ici et là , mais on reste seul, au cœur d’un crépitement insensé. Et nos gestes sont insensés. Celui d’écrire. Celui de faire du thé. Celui qui écrit n’existe pas mieux que son opposé. Même pas après des pages et des pages. Même pas après toute une vie de pages. Les pages sont des objets.
Et puis à bien y réfléchir, il n’y a que la digue qui m’intéresse, car elle m’empêche moi. Les remparts n’empêchent que vous. Vous vers moi. D’eux, il faut se dessaisir. Dehors n’est pas un danger. C’est la crue obscure des entrailles que nous pouvons craindre. C’est elle qui parle de la solitude. Elle encore, je crois, qui dit la vérité, honnêtement, loin des mâchicoulis et des meurtrières. Peut-être faut-il être honnête pour changer.
Et comme je n’ai aucun but, je ne poursuis rien ici. Je ne cherche rien du tout. Si vous pensez que je cherche à bâtir, abstenez-vous. Ou justement, ne vous abstenez pas. Venez vous frotter ici à l’absence de justification. Je ne motiverai pas mon incohérence, parce que la crue est honnête. Elle ne dit pas ce qu’elle ne peut dire. Elle bouillonne là , libre des digues. Elle cède, de toute sa force. La crue est une défaite vers laquelle je marche sans motif. Ce faisant, je découvre ce que je ne connais pas. Ici, dans les marais limoneux, je ne reconnais rien. Je suis perdue, sans pouvoir attraper la main d’un adulte bienveillant qui me ramènerait sur le chemin sec et solide du sommeil. Ici, je me blesse et je tombe.
Je me blesse sur mes propres épines. Je tombe de mes propres falaises. Je change, ici. Dans l’instant de l’écriture ou du thé qui chauffe sur la gazinière. Et les mots ne m’aident pas. C’est vrai, écoutez ces mots-là : rien et tout. Ils m’empêchent. Ils me déshumanisent. Et vous aussi. Essayons le tout. Essayons. Honnêtement.
Je dis tout s’achète. Et puis, pour voir, sans but et sans motif, je dis maintenant : on peut acheter de l’eau de javel, des bombons, une montre, une maison, des murs, un crayon HB, des graines, un tendeur pour accrocher son sac sur le garde-boue du vélo, une conduite, un double de clé, un honneur. On peut acheter du repos, du temps. Une plage pleine de pétrole… on peut en acheter. Des dents en or, des protéines. On peut acheter la santé. On peut acheter des mots, des oiseaux. On peut s’acheter soi-même. On peut acheter quelqu’un ou quelqu’une. Acheter du thé pour le faire bouillir. Acheter des livres, de la connaissance, des blocs de foie gras, un tee-shirt des Rolling Stones. On peut acheter l’amour de sa mère, et des ampoules de 40 watts.
Voyez. Tout est un menteur. Quand on le prononce, on rehausse la digue, on s’éloigne. Et on subit sa protection démoralisante. Tout s’achète. On sait bien que… mais…
Mais honnêtement, essayons encore le tout. Je dis maintenant la guerre tue tout le monde. Et puis je dis la guerre tue les soldats, les régiments, les troupes, les civils. Elle tue les poules, le hamster de ta petite nièce, les infirmières, les écoliers, les professeurs. La guerre tue les stars, les footballeurs, mon grand frère, ma grande sœur, et mon petit frère aussi. Elle tue le vin rouge et le Sylvaner, elle tue le type qui est souvent à l’arrêt du bus L à 17h56, elle tue les personnes en fin de vie, les athlètes, elle tue les fonctionnaires, les pensionnés, les gymnastes. Elle tue même les compositeurs. Oh, vous savez bien que je pourrais continuer sans m’arrêter. On n’arrête pas les crues.
Voyez. Tout ne dit pas tout. Tout réduit. Evide. Tout n’est rien qu’on mot qui ne dit pas ce qu’il est, parce qu’il n’est rien. Ce n’est qu’en le mettant à sa juste place, que nous, qui l’écrivons, le rendons honnête. Que nous, qui l’écrivons, le rendons ouvrier, titan. Les mots ne nous aident pas. Ils sont des cadavres qui attendent. Ils attendent tant qu’ils sont morts. Ils sont morts tant qu’ils attendent. Je connais l’attente, déjà . Moi aussi, j’attendais, sans but précis. Maintenant, j’écris. Je dis les mots et ils ne sont plus morts. Sans motif, qu’ils réduisent ou qu’ils mentent, je les dis. Mais je pourrais très bien faire de la course à pieds ou prier. Ca n’a pas d’importance.
Ou bien peut-être aussi que ce sont eux qui nous habitent. Les mots. Ca n’a vraiment aucune espèce d’importance. Déjà , je m’en désintéresse. Déjà , la lumière a changé. Il est temps de partir, il se fait tard. Je reviendrai demain.
Du désir...
Celui de rien, celui de tout,
celui de la fêlure ou de la guerison,
mais pas convalescent.
Celui de renaître, celui de mourir
mais celui d'avoir peur,
pour exister, parfois.
celui de se taire ou de le le hurler,
et pouvoir craquer,
sans fausse pudeur.
Voilà l'honnêteté et la dignité.
Et tu es honnête et digne.
#12
Posté 09 août 2007 - 08:52
Du désir...
Celui de rien, celui de tout,
celui de la fêlure ou de la guerison,
mais pas convalescent.
Celui de renaître, celui de mourir
mais celui d'avoir peur,
pour exister, parfois.
celui de se taire ou de le le hurler,
et pouvoir craquer,
sans fausse pudeur.
Voilà l'honnêteté et la dignité.
Et tu es honnête et digne.
Le peintre l'est certainement. Moi, je suis déjà ailleurs.
Merci lio...
Jaguar.
#13
Posté 17 août 2007 - 12:55
On dirait des douves entourant un chateau fort qui veulent résumer le "tout" à travers
des mots que l'on viendrait pêcher.
Bien à toi
#14
Posté 31 août 2007 - 11:46
ton écriture est prenante, bravo!
On dirait des douves entourant un chateau fort qui veulent résumer le "tout" à travers
des mots que l'on viendrait pêcher.
Bien à toi
Grand merci, avec un peu de retard.
Y'aurait donc un lac à l'intérieur du chateau fort...
Jaguar.
#15
Posté 01 septembre 2007 - 05:42
Il y a beaucoup à méditer.
une petite phrase m'est venue:
"la récompense de l'attente est l'inattendu".
(Marcel Brion, journal d'un visiteur).
C'est ainsi, dans ce texte.
Artemisia