Aller au contenu

Photo

Aux disparus et présences de l'âme


  • Veuillez vous connecter pour répondre
Aucune réponse à ce sujet

#1 Marygrange

Marygrange

    Tlpsien +++

  • Membre
  • PipPipPipPip
  • 553 messages

Posté 24 janvier 2010 - 06:20

Deuxième mouture de ces textes avec pas mal de changements. Dernières retouches aussi.
Explication : je vois plus clair en ce que je veux raconter. Ce ne sera plus adressé à une personne déterminée, ou bien à plusieurs, ou encore juste écrit à la première personne du singulier comme pour un journal. Ce seront des propos, des sortes de mémoires. Le titre change aussi. Ce n'est plus "A un ami perdu", mais "Aux disparus et présences de l'âme", titre encore provisoire mais je n'apporterai plus de changement à celui-ci sur ce site. Je supprime également la dédicace. Et j'ajoute que les anciens chapitres "Depuis, c'est comme si nous étions morts" et "Félix" n'en font plus qu'un "Félix".




Félix




Ta femme m’avait redit, au cours de ce dernier appel téléphonique en mai 2006, alors que je t’appelais et que tu n’étais pas là, sa ligne de conduite qu’elle m’avait imposée une autre fois : ne plus t’écrire ni te téléphoner, ou d’essayer de te rencontrer etc. Tu as accepté la rupture d’amitié que je te proposais dans un e-mail afin de ne plus entendre les griefs de ta femme, et tu as souhaité bonne chance à ma vie.
Á l’époque, je ne comprenais pas à cause de l’affolement qui longtemps m’a perturbée. J’en ai sérieusement déprimé. La seule solution qui se présentait pour me défendre de votre bannissement, et peut-être me guérir, a été d’écrire. Ainsi est né mon roman. J’y ai parcouru ma vie du début de ma poliomyélite jusqu’à notre rupture d’amitié. Puis j’ai inséré une nouvelle, dans laquelle un personnage redonnait confiance à celle qui me représentait. C’est lui qui lira par hasard son manuscrit, ce journal à l’adresse de celui que tu m’as inspiré. Il finira par la connaître via Internet. Cet homme, je l’ai rencontré en vrai. Mais nous ne nous sommes pas connus sur un site.
Le roman n’avait pas suffi à mon cœur pour le guérir tout à fait. Il fallait encore des mots. On ne peut vivre avec un sentiment de culpabilité, mais pas non plus avec la colère. C’est le paradoxe de ma blessure. J’aurais pu me mettre bêtement à vous détester et vous mépriser. Mais la crainte que tu te dénigres à me voir souffrir a été plus forte. C’est pour cela que je continuais à implorer ton pardon, autant pour toi que pour moi. J’ai continué à écrire sur toi sur mon blog que peut-être tu visites à l’occasion.
Un jour, je regarderai ce temps, par la fenêtre de mon passé, comme on feuillette un album de famille, fière de t’avoir connu et sans la détresse de la séparation. Quand les gens meurent, on se presse à en gommer le pire. Il en sera de même pour moi de notre amitié morte. On a tant la nécessité de ne pas se laisser posséder par la médiocrité, la noirceur, la méchanceté, les reproches. Je t’aimerai maintenant comme un être cher disparu. Je ferai ton deuil comme celui de mes parents, ceux de ce corps malaimé et de ma jeunesse mal vécue, ceux de mes activités passées, ceux de l’Espagne et de tous les gens perdus de vue. Mais jamais je n’en effacerai les bonnes choses, j’aime tant ça !
Félix, c’est si proche du mot espagnol « feliz » qui veut dire heureux. Je crois que tu l’es maintenant… Je regrette profondément de ne pas avoir agi correctement avec toi. Aujourd’hui nous continuerions à nous parler, si j’avais su répondre à ton silence par le mien.
Du fait que c’est toi le premier à commenter mes textes sur un site, à m’écrire de longs e-mails amicaux, à me faire prendre un Messenger, ce système ingénieux qui nous fait parler en ligne avec un micro, tu entrais dans le lot de mon quotidien. Il me suffisait de recevoir tes photos, tes mots pour m’imprégner de ton existence. Internet, toi et toutes mes relations virtuelles, tout comme l’écriture de mes poèmes, gommiez mon ennui. Le plus grand danger des temps actuels, c’est qu’on rentre énormément chez les autres. Cela peut devenir insupportable. Sans compter que, à être accro à un ordinateur, on abandonne bien d’autres activités. Il ne s’agit pas de supprimer ses contacts sur Internet, mais de recourir à un usage non abusif. C’est possible. Je l’ai compris, et l’écriture de mon roman m’a désintoxiquée. J’ai renoué avec ma pensée, allume plus tard mon ordinateur. Mais l’effet inverse se produit. Je n’en fais plus assez, au grand dam des administrateurs et des membres des sites que je fréquente. Même mes blogs mériteraient un peu plus d’attention. Pour cela, je dois me surveiller.
J’espère que ta femme et toi vous vivez en paix, et que personne ne vous dérange comme je le faisais. Que ce prénom que je te donne ici reflète ta vie actuelle ! Que les paysages du train de ta vie soient splendides, plus que les miens qui n’ont jamais quitté les rêves d’avenir !
Tu es celui qui m’a blessée il y a quatre ans, mais cela va changer enfin.



Le train




Antonio Machado[1] dit, dans son Portrait, quelque chose qui en français sonne ainsi : « Lorsque viendra le jour de l’ultime voyage, quand sera prêt à appareiller le navire qui ne doit jamais revenir… ». Le voyage est sans doute la meilleure image pour représenter la vie.
Un train que l’on prend jusqu’à son terminus. Durant ce long parcours, des gens s’assoient sur le siège à côté de vous et vous quittent après vous être échangés les histoires de vos vies, découvrir vos affinités, vous être un peu ou beaucoup aimés. Il est indéniable qu’il faut se plier à la fatalité du voyage, qu’on change de train ou de wagon, ou qu’on fasse connaissance de nouveaux arrivants. Il faut accepter cette inéluctable existence, qui peut être si belle par moments, avec ses pertes et ses nouveautés.
Tout est voyage dans la nature, car tout est vie et mort. L’homme est, dans ses gènes, un voyageur sur sa planète, dans une galaxie elle-même errante et remplie de nombreuses étoiles pouvant abriter d’autres civilisations comme la sienne. Ainsi va mon humble vision récurrente de l’Univers.




J’ai perdu bien des gens sur des quais de gares. Tous ne m’ont pas blessée en me quittant, ou moi eux. C’était comme des petits déraillements. Mais un train cela se remet sur rails, heureusement ! Peut-être que certains reprendront le mien à d’autres arrêts… On ne sait jamais. Mais je ne veux plus l’espérer. Je dois me faire grande fille pour aimer le plus que je peux ce que me donnent les paysages qui défilent à travers les fenêtres de mon train.
Sous sa noirceur et sa cruauté, l’humanité est belle, à l’image de l’endroit où elle vit. Terre d’asile. Terre de voyage…


--------------------------------------------------------------------------------


[1] Antonio Machado, poète espagnol par qui j’ai le plus découvert la poésie et que je vénère comme un Maître.




P.




Je côtoie, depuis près de deux ans, un homme dont je suis amie. Nous nous vouvoyons. Pourtant nous sommes intimes. De l’entraide, de la considération, beaucoup de conversations et d’échanges, c’est tout.
C’est merveilleux une amitié entre un homme et une femme sans compromis ni rivalité, tissée d’une sincère fraternité et du partage d’affinités culturelles. On se voit à peine, mais communique par téléphone et courrier. Ce dernier est des plus classiques par la Poste, il n’a pas Internet. Une correspondance comme celles que les gens d’autrefois pratiquaient quand il n’y avait pas de moyens rapides pour les rapprocher.
Je l’appellerai P., comme l’initiale de son prénom.
Il est, depuis quelques années, paraplégique, et c’est à l’hôpital que nous nous sommes rencontrés. Le mieux aurait été que l’on ne se croise jamais, car cela voudrait dire qu’il serait toujours valide. C’est terrible pour un homme de sa trempe de se retrouver à la cinquantaine dans un fauteuil roulant. Tout s’écroule… Moi, je suis quasiment née handicapée, c’est différent oh combien !
Le destin rapproche les êtres qui se ressemblent. Je suis donc heureuse de le connaître. C’est l’une des personnes les plus intelligentes, douées d’humour et cultivées que je connaisse.
Aujourd’hui, je ne crains plus de le déranger, mais les premiers temps oui. Des suites de ce qui m’est arrivé avec Félix, j’ai peur d’être à nouveau mal comprise par toute une famille.
Aujourd’hui, je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour détruire l’image de l’ennemie née de cette histoire. Des personnes comme mon nouvel ami m’y aident.
Pour le moment, en attendant de prendre un logement adapté, P. vit à Paris chez un proche, dans un immeuble sans ascenseur à un étage élevé duquel il ne descend que pour des événements importants. On peut se douter que moi non plus je ne peux aller le voir avec mon fauteuil roulant. Mais nous nous reverrons bientôt après beaucoup de mois de contacts à distance.
Il me conseille et soutient sans broncher avec patience et gentillesse. Je lui rends des services avec mon ordinateur et ma connexion avec Internet. Grâce à lui, je reprends confiance en l’amitié et en moi-même.