La plaine un jour disait à la montagne oisive :
" Rien ne vient sur ton front des vents toujours battu ! "
Au poète, courbé sur sa lyre pensive,
La foule aussi disait : " Rêveur, à quoi sers-tu ? "
Le poète et la foule - España (1845) - Théophile Gautier
La vigne sur le mur ne porte pas de fruits
Mais s'accroche à la pierre, usée et centenaire,
Pour porter sa langueur, sans murmures ni bruits,
Compagne de fatigue et d'âme douce-amère.
La musique qui vient chante moins qu'un canon
Mais s'accroche au soldat, d'un cœur inconsolable,
Pour chanter sa tristesse au vol du gonfanon,
Compagne d'infortune et d'âme misérable.
Le silence apaisé ne fait pas le bonheur
Mais s'accroche à l'oubli du fil de toute histoire
Pour faire un souvenir des pas d'un promeneur,
Compagnon d'inutile et d'âme sans mémoire.
Ô vent sur la montagne, apprends nous à rêver
Mais accroche à la foule un désir de poète
Pour apprendre le sens du verbe enjoliver,
Compagnon de l'étoile et de l'âme comète.