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La calanche

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#1 iahhel

iahhel

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Posté 29 mai 2013 - 09:52

Il est là, assis face à la porte d’entrée.

 

Lui c’est Gilbert, 60 ans, sans profession ni qualification, pas de permis, pas de voiture, pas de vélo, pas d’assurance, pas de sécu, pas de femme, pas d’amis. Avec le temps, ses traits qui autrefois auraient pu être attirant se sont creusés et déforment son visage plus que la norme…  Un jour, il avait été, maintenant, il ne ressemble plus à rien.

Il y a une semaine, il a répondu à une petite annonce qui disait que quelqu’un pourrait venir l’aider si il avait des soucis. Et dieu sait qu’il en à des soucis….

Ce journal qu’il avait trouvé par hasard devant sa porte sur le parking, était une aubaine.

D’ailleurs, où était-il ce foutu journal, deux jours qu’il ne le trouve plus, mais c’est pas grave, il sait qu’il a répondu à cette annonce et est persuadé que quelqu’un va lui venir en aide….

Des jours qu’il attend, qu’il regarde cette foutue porte en espérant qu’elle daigne enfin s‘ouvrir, mais personne… 

 

Une journée de plus à tuer le temps avec des émissions idiotes à la TV, des espoirs nourris d’ironie, des contres temps, des machines à laver. Devant lui, la bouteille de Ricard toujours à moitiés pleine. Elle s’impose des heures durant, accompagnée de quelques gitanes, brunes et voluptueuses, en paquets éventrés qui sont posés près d’un énorme cendrier, régurgitant des saveurs du tabac froid liés à plusieurs semaines de surconsommation….

Et la vie qui s‘écoule absurde et inconséquente.

 

De amis, il n’en voit guerre, à part les deux trois poivrot du village, il ne connaît plus personne et plus personne ne souhaite le connaître. Alors, vieux garçon, il se cloître chez lui et attend…

Chez lui, c’est chez sa mère qui agonise depuis plusieurs mois dans la pièce annexe. Une pièce humide, sombre et mal éclairé, où l’odeur jetée sur les murs se mélange aux miasmes ambiants du tabac froid et à la saleté…

 

Il faut dire que depuis que l’activité fermière a cessée et que les parcelles de terre vendues on fait place au super, supermarché et sa ‘’zone artisanal’’ comme ils disent, plus rien ne va. Et sa mère qui ne peut même plus se déplacer, qui l’emmerde à longueur de journée en gémissant comme une grosse truie.

 

Une truie oui !

Il essaie de s’occuper d’elle, tant bien que mal, mais à contre cœur. Il ne l’aime pas et ne l’a jamais aimé. C’est un tyran, une sorcière qu’il dit. Il n‘attend qu’une chose, qu’on l’enterre.

Le bruit assourdissant du poste télé couvre les râles de la vieille, qui n’en fini plus de mourir…

La vieille, comme il aime à l’appeler. Jamais contente, toujours de sale humeur, une vipère qui crache son venin à qui voudra bien l’écouter, une vie entière de hargne et de mauvaise humeur…

 

Depuis toujours, dû moins, jusqu’où remonte sa mémoire, elle est là à le tirailler. Jamais en accord avec ce qu’il dit, toujours son mot à dire sur ce ton véhément, qu’elle adopte systématiquement pour lui adresser la parole.

Maintenant, elle est là avachie sur ce lit, presque inerte, l’invectivant pour la moindre chose. Du coin de la table où il est appuyé, il lui décroche cycliquement ces quelques mots, qui le soulage d’une haine contenu de 60 années et qui peut enfin s‘exprimer…

 

-         T’as pas fini de me pourrir la vie ; vielle salope va, tu ne l’as pas volé ta fin !

 

Entre deux clopes, il prends le temps de jeter discrètement un œil à l’extérieur en entrebâillant les rideaux de dentelles grisâtres suspendus à la fenêtre de la cuisine, ainsi qu’a son désespoir et d’où il peut apercevoir le parking du centre commercial ; c’est d’ailleurs pour cela qu’il n’ouvre plus les rideaux, pour le vis-à-vis avec le parking, rideaux qui n’ont pas du voir de lessive depuis plusieurs décennie, à en jugé par leur éclat de saleté. 

 

 

Gris ! Le constat et sans appel : Encore une journée de merde où la pluie c’est invitée donnant cet aspect sombre et monochrome au décors, c’est comme si les couleurs n’avaient jamais existé. Au dedans ce n’est pas mieux.  Le noir intersidéral a envahit tout son être, pas un soupçon de guetté ni même d‘espoir, tout est sombre et noir ; et la vie décrépit  qui rogne ce qu’il reste à dépecer !

 

Les gouttes de pluie claque contre la porte, martelant la vitre, résonant dans ses tempes, de ses perles qui frappent contre la matière et ce vent qui ne faiblit pas ! Au moment même où il se rassoie pour se servir un p’tit jaune, comme il l’appelle, les aboiements de sa mère le rappellent à l’ordre…

 

-         Gilbert, donne moi mon médicament ! Plus vite, bon à rien va ! Même pas foutue de s‘occuper de sa mère cet âne !

-         Ça va, ça va….

-         Apporte moi une couche aussi, c’est plein de merde ici, ça pu !  Faut que tu me changes. Et dépêche toi, ça me brûle !

 

 

Voilà ce qu’il redoute le plus. Le moment où il doit changer la couche de sa mère.

Rien que l’idée le rebute mais il n’a pourtant pas d’autre alternative, car même s’il souhaite parfois sa mort, il ne peut décemment pas, la laisser mariner dans ses excréments.

 

-         Dépêche toi non de dieu, Gilbert !

-         Tu ne pouvais donc pas te retenir ? Tu fais chier la vieille…

-         Me retenir ? Mais tu veux que je crève hein ? C’est ça ? tu veux que je crèv…

-         ...Ha basta !  Si tu savais comme je l’attends ce jour béni où tu vas crever !? Et quand il viendra et que sonnera enfin  glas qui t’arrachera

          ton dernier souffle de vi….

-         Tais toi donc bon  à rien et dépêche toi !

-         Pffffff

-         Tu vas te lever ton gros culs oui, fainéant !

 

Il avait bien pensé à la supprimée, mais il ne pouvait pas. C’était au-dessus de ses forces. Et puis, les services sociaux qui passent régulièrement s’apercevraient de quelque chose, la police serait alertée… Non, il ne s‘en  sortirait pas.

C’est d’ailleurs pour ça, qu’il a demandé de l’aide en répondant à cette petite annonce dans le journal. L’annonce disait que c’était gratuit et surtout que le résultat était garantie.  L’annonce dans ce journal qu’il ne trouve plus, mais dont il est sûr d’une chose ; c’est d’avoir répondu à cette annonce.

 

Se relevant de sa chaise, il prend la direction du placard tout en maugréant quelques insultes à l’encontre de sa mère puis, attrapant la boite de médicament d’une main et la couche de l’autre, il fait pivoter son corps d’un seul bloc pour se diriger nonchalamment vers la chambre.

 

-         J’arrive, vielle peau…

-         Vielle peau ! hum ! Enfin te voilà. J’ai failli attendre !

 

Alors qu’il se prépare à lui servir son verre d’eau pour de lui administrer ses tranquillisants, 

Baoum…

Un bruit sourd et violent les fait tout deux sursauter !

 

Toc, Toc, Toc !

 

Gilbert s’arrête net dans son élan.  La vieille le regarde, interloquée.

 

-         On a frappé à la porte. Qu’est ce que t’attends Gilbert,  va ouvrir, bon à rien !!! Mais qui ça peut-être ?

 

Un sourire à peine perceptible éclaire le visage de Gilbert qui se dit que ça y est !  La solution à ses problèmes était peut être derrière cette porte.

Il s’avance d’un pas rapide vers la fenêtre, entrebâille le rideau et regarde discretement sur le perron.

Un homme est là.  Grand, vêtu d’un long imperméable noir, à capuche,  il attend dos à la porte et face à cette pluie qui s’abat depuis plusieurs heures. 

 

-         Qui c’est Gilbert ?

-         T’occupes, m’an c‘est un amis que j’ai invité.

-         Tu m’appelle m’an maintenant ? Et ne dis donc pas n’importe quoi ! Tu n’as pas d’amis. Tu mens ; dis-moi qui c’est! Gilbert ?

-         Tais toi donc vieille sorcière. Bien sûr que j’ai des amis, dit-il en jubilant, la preuve.

-         Gilbert, dépêches toi, viens me changer ! ça me brûle…

-         Ha... Va brûler en enfer, vieille bique ! J’ai autre chose à faire pour le moment.

 

Gilbert retourne d’un pas pressé vers la chambre de sa mère, et ferma sa porte bruyamment avant de reprendre la direction de l’entrée.

 

-         Gilbert, qu’est-ce que tu fais ? Viens tout de suite. Gilbert !??

 

Il s’approche de la porte prenant un air sérieux, remet ses cheveux gras en place d’un revers de la main et appuie sur la clenche. La porte s‘ouvre.

 

-         Bonjour, vous êtes heu….

 

L’homme se retourne.

 

-         Oui.  Je suis !

 

L’homme est grand, parait baraqué et a un visage auxquels on ne peut pas donner d’âge.

Ses yeux noirs et son teint pâle ne font qu’accentuer la dureté des traits de son faciès.

Il est distingué, vêtement de bonne facture, allure soignée et porte une canne dans la main droite. Il fixe Gilbert droit dans les yeux..

 

-         Vous êtes donc la personne que j’ai contactée pour mes problèmes ?

-         Oui, tout à fait ; mais puis-je entrer deux minutes où bien allons nous nous entretenir sous cette pluie battante ?

-         Excuser moi, je suis désolé, mais j’ai tellement peu l’habitude de recevoir que... Heu entrez...

-         A la bonne heure.

-         Gilbert, viens me changer, ça pu ! J'ai mail !! Et qui c’est ce gars !?

-         Tais toi donc vieille bique !

 

Puis se retournant vers son hôte

 

-         Vous pouvez déposer votre…

-         Oui…. Je sais ; merci !

 

A la grande surprise de Gilbert, l’homme avait suspendu naturellement son imperméables à la patère fixée sur le mur qui était pourtant à peine visible, juste derrière de la porte d’entrée, comme si il connaissait le lieu.

 

-         Votre mère je suppose….

 

Lui lança-t-il en s’asseyant, tout en maintenant sa canne qu’il fait tourner entre ses deux mains, les coudes en appuis sur ses genoux.

 

-         Oui, c’est pour elle que je vous ai contacté. Vous comprenez, elle ne se déplace plus du tout, c’est un poids pour moi et elle me rend la vie

           impossible. En plus, depuis qu’elle est alitée, c’est pire. Je vis un véritable enfer. Déjà que ce n’était pas tout rose avant, mais là, je n’en peux

           plus. Je dois trouver une solution pour ne plus avoir à la supporter… Il faut que cela cesse !  Vous me comprenez ?

-         Oui, oui, très bien.

-         Vous allez m’aider hein ? Dites-moi que vous allez trouver une solution à mon problème ?

-         Gilbert, ma couche, dépêche toi !

 

Le visiteur le regarde intensément de ses yeux noirs et se dit qu’il a bien fait de venir. Apparemment, cet homme est au bout du rouleau et sa demande n’est que légitime. L’empreinte de sa destiné le résume à errer de déboires en souffrances depuis son plus jeune âge sans jamais de répits. Cette annonce était providentielle pour lui aussi ! Il exaucera donc son vœu et le délivrera de sa souffrance.

 

-         Oui, je vais vous aider et vous libérer de ce fardeau. Mais comprenez bien cher ami que ce n’est pas une décision à prendre à la légère et          

          qu’une fois qu’elle sera prise, il vous sera impossible de vous rétracter.

-         Qu’entendez vous par là ?

-         Simplement qu’à l’instant même où nous déciderons tous deux, d’un commun accord, de mettre fin à cette situation de souffrance qui perdure    

          depuis toujours et qui engendre cette situation avec votre mère, il ne vous sera en aucun cas possible de revenir sur ce qui aura été décidé.

-         Ha bien, bien…Je ne demande pas mieux ! C’est très bien. Mais rassurez-moi, il ne va rien arriver à ma mère, n’est-ce pas ? Enfin, je veux

         dire rien de grave. Parce que même si c’est vrai, que c’est à cause d’elle qu’on en est là et que parfois j’aimerais la voir disparaître, enfin, je

          ne voudrais pas qu’on dise des choses compromettantes sur moi… Vous me comprenez ?

-         Ne vous en faite pour elle, tout ira bien et pour vous, plus de soucis l'ami.

-         Ha… Très très bien, alors c’est décidé, je m'engage. Où dois-je signer ?

-         Aucune signature, votre parole me suffit. Et sachez que je vais personnellement m’occuper de vous.

-         Ha oui, bien…. Et dites-moi, c'est pour quand alors ?

-         Gilbert ! Gilbert ! Ma couche non de dieu !

 

 

Le visiteur ne lui répond pas.

Il se relève silencieusement, le regarde encore une fois droit dans le yeux, puis se dirige d'un pas lent vers la patère d’où il décroche son imperméable. Il pose sa canne, enfile son pardessus d’un mouvement ample et tout en remettant sa capuche, il reprend sa canne qu'il venait de déposer dans l'angle du mur, puis ouvre la porte sans même se retourner et sort sur le perron.

 

Gilbert dépité, lui lance une dernière fois :

 

-         Alors dite-moi, qu'ait-il prévu et on fait ça quand ?

 

Le visiteur se retourne enfin pour lui répondre, mais son visage a totalement disparu. Plus de chair, ni matière, le néant, le vide absolu, seul deux orbites luisantes qui le fixent, figeant le reflet de son âme !

 

-        Mais tout de suite Gilbert !

 

Ni une, ni deux secondes, Gilbert n’a pas le temps de comprendre ce qu’il se passe. Un filet de sang apparaît, et de perles en commissure, il s’écoule lentement de sa bouche. Puis dans un dernier soubresaut il tente de dire quelque chose... Juste avant de s’effondrer inerte sur le sol !

 

-         Gilbert !!  Gilbert !!! Qu’est-ce que tu fais enfant de pu…  Ma couche, dépêche toi, ça me brûle….

 

Le visiteur se retourne, referme la porte et disparaît sans un bruit !

 

-         Gilbert alors, qui était-ce ? Tu va répondre gros tas de merde !! 

 

Quelques seconde passent...

 

-         Gilbert , ma couche !

-         Gilbert !!!

 

 

 

Iah-hel





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