Quelle heure pouvait-il être ?
Je n'en avais pas la moindre idée.
Je me posais un tas de questions, comme chaque soir depuis un certain temps et avec l'obscurité, je sentais peu à peu l'angoisse m'étreindre...
Cette situation qui perdurait depuis plusieurs mois et la souffrance qu'elle engendrait, était ce soir à son apogée...
J'étais comme prisonnière de ce questionnement permanent qui me cloisonnait, dans une arène de douleurs...
Assise les yeux figés, je fixais depuis cinq bonnes minutes le cadre qui se détachait sur ce mur blanc. Des pensées couleurs diaphanes s'écharpaient peu à peu de mon esprit quand soudain la porte s'ouvrit violemment.
Le bruit claqua comme un coup de revolver ...
Une joyeuse tête blonde d'environ 1,40m entra dans la pièce. Ses grands yeux écarquillés qui me fixaient, étaient porteur d’une question. Sa mine était radieuse en cette belle journée estivale.
- Maman, maman ! Ariel peut-elle rester dormir à la maison ce soir ?
- Heu... bien sûr ma chérie.
- Merci ma maman d'amour.
Elsa repartit aussi rapidement qu'elle était arrivée, l'air réjoui, en courrant dans long couloir au mur blanc qui mène vers l'extérieur de la bâtisse.
Je suis journaliste et je travaille pour un journal d'information. Je voyage à travers le monde et couvre le plus souvent les reportages de pays en conflits. Je suis une envoyée spéciale comme ils disent. Je vais de continents en pays, de ville en village de guerre en conflit ; je parle de l’exploitation, de la misère et de toutes ces horreurs qui façonnent notre monde.
Elle, c'est Elsa ma fille...
C'était notre première année de vacances ''que toutes les deux'', Notre premier été à la campagne. J'avais acheté cette propriété de deux hectares une bouché de pain au mois de janvier grâce à l'argent de ma prime de licenciement. Une histoire de meurtre accompagnée de certaines superstitions liées au lieu, avait ternie l'image de cette magnifique propriété. Il y avait bien quelques travaux à faire, mais la villa était saine et avec un peu de temps et de courage, j'avais dans l'intention de la remettre à neuve avant l'été prochain.
La maison était semble-t-il, très ancienne. Sa façade en pierre apparente, son pigeonnier, sa cave voûtée dont l'entrée se situait à l'extérieure et son puits, lui donnait un certain caractère. Le jardin qui la prolongeait en contrebas était parsemé d'arbres fruitiers et de lilas, ce qui laissait planer dans l'atmosphère d'accortes odeurs aux effluves délicieuses... Il était bordé par les eaux profondes d'un lac qui était enchanté ; enfin, c'est ce que disaient les gens du coin en référence une légende locale. Sur la rive d'en face, nous pouvions distinguer des collines boisées et de vastes plaines offrant un panorama bucolique à souhait...
Elsa semblait heureuse depuis que nous étions arrivés ici, loin de la ville et de son tumulte... Elle disait se sentir revivre.
Notre séparation avec son père l'avait marqué à vif. Il nous avait laissé tomber pour une jeunette. Il était enseignant en droits à l'université et s'était laisser choir dans les bras d'une de ses élèves, qui achevait sa dernière année d'étude. En arrivant ici, nous avions décidé d'oublier tout cela.
Avant d'emménager, nous habitions à quelques centaines de mètres l'un de l'autre, ce qui n'arrangeait pas les choses. Mais tout ceci était désormais de l’histoire ancienne.
D’ailleurs, depuis notre départ, elle ne le voyait plus qu'une fois par mois, comme bons nombres d'enfants lorsque les parents sont amenés à se séparer et que la distance impose ses diktats.
Le soleil brillait dans le ciel et baignait l'atmosphère d'une douce chaleur, pas l'ombre d'un nuage ni même la menace d'un orage, pour entacher ce tableau idyllique, tout était calme en cette journée d'été. Elsa jouait dans le jardin avec son amie depuis une bonne heure quand je fus alerté par des hurlements.
Par la fenêtre, Ariel le visage déformé par la peur, remontait en agitant les bras comme un pantin désarticulé qu'on essaierait de démembrer.
Mon coeur s'emballe dans ma poitrine et une angoisse soudaine s'empare de moi...
Je me précipite vers le long couloir blanc et saisie précipitamment la poignée de la porte qui donne dans le jardin.
Ariel avait l'air terrorisé. Dans sa course haletante, elle criait :
- Vite vite, Elsa est tombé dans le lac, j'ai peur !
- Ou ça?
- Vite, viens vite...
- Où étiez vous ?
- En bas sur le ponton... Elsa est tombée, j'ai peur...
A peine eut-elle fini sa phrase qu'elle se jeta dans mes bras en sanglotant.
- Remonte vite à la maison je reviens.
Elsa était une bonne nageuse, mais la façon dont Ariel paniquait, n'avait rien pour me rassurer. Je forçais l'allure pour arriver au plus vite sur le ponton. Ma gorge s'était nouée et une boule s'était formée sur l'estomac. J'avais de plus en plus de mal à contrôler ma respiration qui était devenu saccadée, je suffoquais.
Plus je me rapprochais et plus cette sensation d'angoisse me prenait aux trippes.
En arrivant sur le ponton, personne. Prise de panique je scrutais en vain la surface de l'eau quand soudain mes yeux se posèrent sur une masse sombre et inanimé qui flottait a une trentaine de mettre de la berge... Elsa...
A cet instant, tout a basculé ...
Dans un hurlement de désespoir je me suis effondré sur le ponton, puis dans un ultime sursaut, je me suis redressé et jeté dans l'eau pour aller chercher mon enfant... Le bruit d'une clé dans la serrure me fit tressaillir... J'ouvre précipitamment les yeux quand mon regard se pose sur le cadre de la photo d’Elsa, qui me sourit en noir et blanc... Je tourne la tête vers le réveil : 06h30... Elsa va bien je le sais, je l'ai eu hier au téléphone.
Je reprends peu a peu mon souffle, je respire enfin ! Ce n'était qu'un mauvais rêve... Je me redresse dans le lit et je vois jack apparaître derrière la porte.
Jack s'est toujours bien occupé de moi. Il est courtois et respectueux, mais ce matin il n'affiche pas son sourire habituel, son visage est tendu, comme préoccupé. Il dépose le plateau sur lequel se trouve ma tasse de café en détournant la tête. Il a l'air complètement abattu...
C'est vrai, aujourd'hui est une date particulière. Au moment que quitter la pièce, il me demande de me préparer rapidement car j'ai rendez-vous à 8h00.
Je le sais, cette date est programmée depuis maintenant 6 mois et il m'est impossible de m'y soustraire.
Je déjeune calmement sans angoisse aucune, étrange... 7h15 encore 45 minutes et après....
Nous sommes samedi et comme tous les samedi, je sais qu'Elsa doit partir chez sa grand-mère pour y passer le Week-end. J'espère qu'il se passera bien.
Je sais aussi que pour moi, cette journée passera très vite.
Jack revient vers moi et m'invite à le suivre.
Nous empruntons le long couloir blanc qui mène à l'extérieur, je marche sans trop penser à ce qui m’attend derrière cette porte...
Je connais bien les lieux et l'angoisse que j'avais la veille a totalement disparu. Jack pousse la porte et me fait signe d'avancer tout droit, jusqu'au mur qui se trouve à environ 200 mètres. Je le regarde une fois encore. Son visage est fermé, son regard embrumé...
Je sors et vois le soleil briller dans le ciel. Aucun nuage pour me faire de l'ombre. Il fait déjà très chaud pour un matin, peut être 25 degrés ou plus, et puis peu importe...
J’avance calmement jusqu'au mur qui d'apparence devait être blanc enfin, il y a longtemps ; le temps et les événements ont eu raison de lui, sa couleur a disparu pour ne laisser place qu'à une surface sale et décrépite, marquée par de multiples impacts.
On me somme de m'arrêter. Je m'exécute.
Aucun bruit ne trouble cet instant, tout est calme, comme si le temps venait de s'arrêter, Suspendu au battement de mon coeur...
Je ferme les yeux, respire profondément puis, j'écarte lentement mes bras en les levant à l'horizontal. Je ressens chacun de mes mouvements, chacun de mes gestes.
L'air matinal qui pénètre dans mes poumons avec douceur ; les odeurs qu'il transporte se mélanger une à une en un véniel parfum où je distingue chaque saveur, les arbres, les fruits et le lilas.
J'entends les battements de mon coeur qui depuis toujours m'insuffle la vie. Boum boum, boum boum, sa mesure est régulière, aucune précipitation.
La brise qui se lève m'enveloppe un bref instant, fait tournoyer mes cheveux puis retombe. La lumière est si forte que malgré mes yeux fermés, je la perçois aux travers mes paupières. De ses rais, l'astre réchauffe mon corps, chaque rayon apportant sa part de douceur et de chaleur.
A cet instant, je pense à ma fille, que fait-elle ?
J'espère que tout ce passe bien pour elle... Je l'aime et plus rien ne pourra entacher cet amour !
Je me retourne doucement et me dit que cette fois-ci est la dernière.
Je reste un instant sans bouger, immobile, à l'écoute du monde qui m'entoure, puis prenant une profonde respiration, je ré ouvre mes yeux. Le ciel est pur, celeste, d'un bleu cristallin...
Étrangement, je ne ressens aucune frayeur. Je suis calme, anormalement calme et bientôt libre !
La vie passe malgré nous en laissant ses traces, ses plaies, ses douleurs…. Une sensation de bonheur qui s'échappe toujours, une blessure encore ouverte...
Face à moi, les six hommes attendent les deux mots qui effaceront mon avenir à tout jamais...
Dans un dernier souffle je laisse s'échapper quelques syllabe qui nomment la seule chose qui m'importe...
- Elsa je t'aime !
Puis je m'en remet à cet homme qui hurlant sur un ton monocorde ces trois mots, réduit à néant ce qu'il me reste de vie !
- En joue !
- Feu !
Iah-hel