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[Entretien] Mathieu Brosseau, avec Florence Trocmé


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Posté 01 juillet 2013 - 09:16

 

Florence Trocmé :tu publies aux Editions le Castor Astral un livre dont le titre est un peuénigmatique, Ici dans ça, titre quiinstalle une tension entre deux pôles, dont on pourrait dire que lâun pose une sortedâévidence lumineuse, celle de lâici,alors que lâautre renvoie à toute la complexité obscure de ce qui nous agiteintérieurement. Car on ne peut sâempêcher dâentendre le ça comme lâentendent les psychanalystes depuis Freud, mais lalecture du livre montre que cela va sans doute bien au-delà. Pourrais-tutâexprimer un peu sur ce titre, ses deux pôles et ce quâil révèle, peut-être duprojet et de la construction du livre ? 
 
Mathieu Brosseau : L'ici dansça pourraient être considérésimplement de cette façon : un sujet agissant ou pensant incarcéré dans sonenvironnement immédiat autant que dans ses obscures intériorités. 
 
Le ça (pris comme la chose qu'on nese donne pas la peine de nommer précisément) serait multiple mais aurait uneconstante : il s'installe comme une peau enveloppante, finalisante, maisdemeurant inconnaissable dans son ensemble et ses variétés, il libérerait lesujet. 
 
Le ça serait d'abord ce corps, notrecorps fermé, ce corps inconnu et criant, tel qu'on le considère, vieillissant,lieu des perceptions, lieu d'échanges entre dehors et dedans, lieud'interprétation par la perception et par la pensée, de l'être-là, en peau,poreuse et réceptive. Peau-limite. 
 
Le ça serait aussi l'espace extérieur,irrémédiablement extérieur, perçu parce même corps, les objets pris dans leur unité ou par lots, une extérioritéperçue par tous et forgeant la communauté.  
Il y aurait à l'extérieur, ce que je vois mais très vite jâimaginerais tout cequi ne se voit pas, et qui serait toujours ça.Chose informe et fantasmatique, chose ouverte à lâimaginaire. Ça serait aussi ce que je ne sais pas. 

Et, imaginons, par un renversement sujet-objet, par un inquiétant mariage, quâunça extérieur et pluriel se confondeavec l'ici. L'indéfini du ça viendrait écraser le surdéterminé del'ici.  
Faut-il poétiquement chercher cette fusion ? 

Le sujet viendrait à se perdre, submergé car, a contrario du ça, le sujet ici est infiniment marqué, situable, assuré d'être.  
 
Autant qu'aujourd'hui nous ne sommes pas hier, le sujet est toujours ici, ontologiquement.
 
Et il y a effectivement l'intériorité dont tu parles, sa dimensionpsychanalytique : le ça priscomme nÅud pulsionnel, comme mer de pulsions de tous ordres. En fait, cetteintériorité est une masse d'antériorités à mes yeux, ce poids d'absencespassées et passives. 
 
Alors, ce titre n'est ni programmatique ni porteur d'idéologie, mais prend bienacte de notre condition sommaire et nécessaire de vie : être là définis detoutes parts mais toujours dans ça,le poids du monde. Ouverts et fermés simultanément. 
 
 
 
F.T. : ce livre donne trèsfortement le sentiment dâun parcours, plus même dâune sorte de trajectoire,dâune histoire alors quâil nâest enrien me semble-t-il un récit, ou alors comme tu le dis dans la première partie,un « récit de guerre et dâailleurs »â¦ Le projet même du livre expliquesans doute cette impression. Jâaimerais que tu développes ce point :quelle fut la conception de ce livre, quelle en furent les étapes ?   
 
M.B. : Ce texte est un récit ence sens où il se développe selon les aléas de ma vie propre. Il s'y colle, ilen est le réceptacle et témoigne de la traversée (plus que la trajectoire ?)qu'il m'a été donné de vivre. 
 
En 2010, les choses tournent mal pour moi et des angoisses terribles me donnentle vertige, m'invitent à en finir, des pensées obsédantes et cruelles font leurapparition, des images et des paroles intrusives aussi, je me maintiens dansune consommation d'alcool et de psychotropes immodérée, je veux chuter, c'estl'histoire d'un homme qui veut devenir fou, démuni, chaotique pour échapper àsa condition cernée. Par shoot dispomaniaque. Il est question de creuser, enécrivant, le volcan déjà réveillé, de m'y fondre douloureusement. L'idée estaussi de penser cette expérience en la disant, dans une parole poétique active(et non descriptive ou narrative). Il sâagit de vivre le texte et ce faisant,le faire vivre. 
 
En juin 2011, pour des raisons qui me restent encore obscures, je mets un termeaux toxiques et toute la question du narcissisme prend place : qu'est-ce quel'écrivain peut ou doit être, éthiquement. Témoigner de son cri ? Certainementpas. 
 
Pendant un an, je cesse d'écrire et le livre est arrêté, mort dans l'Åuf de soncri. Je ne compte pas même l'achever. 
 
En juin 2012, mon éditeur (Le Castor Astral) me propose de le revoir. J'y voisl'opportunité de raconter une suite, une fin et un parachèvement de l'histoire.L'histoire d'une pensée troublée qui se défait puis se renoue, peut-être par desmoyens fictionnels. 

Je remanie intégralement le manuscrit, le replace dans mon histoire etréinvente sur la fin du livre, les notions jusqu'alors usées du pardon, del'identité, de l'adresse et de lâissue. 

Et c'est précisément en comprenant le sens de la fin que je comprends qu'il n'ya pas d'issue au ça, mais une suitesans fin de fins. Imaginez des portes qui sâouvriraient sur des portes, quisâouvriraient sur des portes, et cela infiniment.  
La seule façon de s'en sortir est de cesser d'espérer de trouver une sortieultime autre que la mort, comme dâen désespérer ; il s'agit juste de cesser devouloir trouver lâissue. On n'échappe pas aux systèmes, on arrête juste dâycroire. 
 
De A à B, on n'arrive pas, on ne peut pas arriver à destination en conscience, d'oùla nécessité de la fiction. Le sens en est une, de fiction,  puisqu'il n'est qu'interprétatif. Il s'agit decomprendre en racontant, non de professer. 

Mon travail est un travail de funambule entre deux eaux, entre l'ici défini et le ça indéfini, entre deux eaux, entre celle du brouhaha du manque, dela dispersion émotionnelle, de la perte et celle de la réconciliation, del'association, de la tenue, du sens que prend la trajectoire. 

Et comme je l'écris à la toute fin du livre, la parole réaliste doit avoir ledernier mot. 

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F.T. : la question précédentemâamène à te poser la question de la relation entre poétique et autobiographie.Autrement dit, comment, par lâécriture, lies-tu les éléments dont on pourraitpenser quâils sont autobiographiques, mais qui en réalité, me semblentdavantage relever dâune sorte de matériel pulsionnel qui dépasse unepersonnalité unique, la tienne, pour remuer des fonds qui ont à voir avec lemythe, la légende, peut-être même lâépopée, le grand patrimoine et desuniversaux inconscients de lâhumanité ?  
 
M.B. : Quand tu penses tanaissance, son contexte, la mamlangue,tu comprends rapidement que la langue et son bataillon de symboles tepréexistent, tu entends leur naissance - non leur naissance à eux mais leurnaissance en toi. Ce qui, mise à part l'Histoire, revient au même.
Tu les métabolises peu à peu. La conscience les ingère et leur sens, leurévidence apparaissent. Ils sont toujours un dévoilement car pour lescomprendre, nécessité est d'en cerner l'origine. Les symboles et les conceptsuniversaux ne grandissent pas, n'évoluent pas (ou de façon cosmétique, dans lescontes notamment), ils apparaissent, ont un point de départ et c'est tout. 
 
D'où mon désir de dénaître aussi, il s'agissait non seulement de détruire lescertitudes, d'amener les doutes, de faire advenir en conscience tous lespossibles (donc irréalisables), d'accroître ainsi l'angoisse, mais ils'agissait aussi et surtout de revenir aux origines et notamment aux originesdes symboles en moi, qui marquent l'avènement de la conscience au monde, à sescommunautés de savoirs. 
 
Et tu as raison, le matériel pulsionnel a forcément à voir avec lâémergence desmythes, il les détermine et nous nous y retrouvons tous. Eros et Thanatos sontdes énergies souterraines pures (jâappelle cette énergie, le çaction). 
 
 
F.T. : serais-tu dâaccord pourdire que ce livre accomplit une naissance. Il est parcouru par le thème trèsparticulier du dénaître, sur lequelje voudrais que tu reviennes ; dénaître,invagination⦠des mots qui ne vont pas de soi et qui sont récurrents. Mais danssa progression et tension, Ici dans çasemble aussi tirer petit à petit dâun informe terrifiant posé au départ deséléments qui vont permettre dâaccéder à lâici,et aussi à lâautre et à la pensée.  
Dénaître, aller du ça et du cri à la pensée⦠en lien avec ce que tu mâas écrit dans unelettre : « le cri, les larmes qui lavent le cri et la pensée quivient clore et tenir le cri, le rend objet transmissible. Lâénergie du survivreest ainsi inscrite dans un écrin de pensée ».  
 
M.B. : Oui. Puisqu'il s'agit deretourner aux origines, en dénaissant, le livre s'achève sur un accouchement,celui d'un nouvel homme. Une mort qui donne naissance, en quelque sorte. 
En fait, je dénombre plusieurs types de naissance. Celle, biologique, que nuln'ignore puis celles, psychiques, des pensées qui s'ouvrent et se ferment.
Et s'est en s'entendant, en se conciliant avec ces secondes qu'il est donné derevenir aux premiers instants biologiques, les revivre par l'image, par retoursfantasmagoriques. Chacun est certain d'être né, chacun connait le ventre de sa mère,mais nul ne connait ce territoire-là. Régresser vers l'informulé, à lâunité préÅdipienne, à lâunionsacrée avec la mère utérine, tel a été mon projet, un temps, avant de retrouvera posteriori le corps de l'ici, mêmefragilisé par ce projet en sens inverse.  
Revenir à lâorigine, refuser lâhistoire, ce nâest pas vouloir mourir, câestpenser pouvoir jouer un tour à la mort, grande certitude et donc de tordre lecou aux fictions de soi qui sont de véritables obsessions de la finalité. Câestça, dénaître : se définaliser. 
 
Enfin, je souhaite reprendre ce que je tâavais écrit dans une lettre : onnâarrive à transmettre un cri que lorsquâon arrive à le penser et ce faisant, àproposer en partage un sens. Le sens de son cri. Les livres pensés sont deslivres à donner. Mais ce que jâappelle des livrespensés, ce sont uniquement ceux qui ont une fin, et donc une naissancecomme tu lâévoques dans le premier temps de ta question. 
 
 
F.T. : un jour tu as eu cetteformule qui me semble tellement liée à lâhistoire de ce livre que je voudraisque tu la reprennes, ici, pour les lecteurs de Poezibao. Tu mâas écrit « nous sommes notre poétique » ettu as ajouté un peu plus tard cette formule qui me semble une très belleexpression, condensée, de ton livre « Nous nous donnons sens et ce sensnous porte ».  
 
M.B. : Le corps verbal estdéfinitivement allié au corps biologique, c'est pourquoi la parole est magique,elle altère la vie et son devenir. Elle n'en est pas séparée, elle est sonsang. 

En ce sens, et par cet alliage, nous sommes ce que nous proférons, ce que nouspensons.  
Considérons ainsi que nous nous écrivons, que nous reconnaissions commeécrivain ou pas. Le sujet domine sa vie, son origine et étaye des fictions pouren connaître la fin. C'est ce qu'on appelle âanankèâ. De A à B, on invente B. 
 
Nous nous donnons sens et ce sens nous porte, me rappelles-tu. Oui. Nous sommesles auteurs autant que les serviteurs de notre propre vie. 
 
Je pense, ici, à ce texte, premier du chapitre Autobiographie du nous de Icidans ça, il ne me semble pas si éloigné de nous sommes en train de dire,surtout sur sa fin : 
 
« Nous en savonsbeaucoup trop, bien trop pour être menacés, bien assez pour mourir à petit feupar le poison, nous nâappartenons pas au monde car le monde ne nous appartient pas,il y a une symétrie dans lâexercice de la propriété, un vol a été perpétré,celui dâune parcelle de lââme, nous possédons ce qui nous possède dans lafiction de nous-mêmes, nous sommes des vendus et la parole nous tient par lagorge, nulle fuite possible, nous revenons dâun pays où nulle propriété ne faitloi, nous sommes en exil et la pensée nous charrie. » Ici dans ça, page 45. 

Ainsi, nous sommes en chemin, en départ constant, nous savons d'où nous sommespartis, matrice utérine et nous projetons le terme du parcours, avec des relaisfictionnels. La pensée couve la vie sans la toucher. La poésie est leur seul espacecommun : elle est de la pensée vécue.  
Lâimage ou lâidée que nous avons de lâarrivée (fin dâune vie ou fin dâunepensée) change notre direction et nous offre ce que les animaux n'ont pas : unsens, donc une inquiétude. 
 
 
F.T. : il y a manifestement uneconstruction très pensée du livre, en six temps, une construction qui sembleaccompagner un desserrement de lâétau et une forme dâouverture vers le terme(comme on le dit dâune grossesse ! il est dâailleurs beaucoup questiondâÅuf vers la fin du livre...) Chacune des parties est constituée de textes quisont pour la plupart en prose, avec une inclusion notoire du vers. Est-ce quetu serais dâaccord pour dire que chacun de ses textes semblent être comme unepierre posée, un pas qui permet dâavancer vers le suivant, mais aussi un chant,autant de stratégies artistiques pour aborder, voire liquider, un thème, unequestion, une obsession, défaire un nÅud. Autrement dit comment as-tu écrit etcomposé ce livre ?  
 
M.B. : Oui, le livre est construitcomme une fiction. NÅud initial, recherche et dénouement. Cri, distance,pardon. Ces trois moments sont magiques car leur association fait sens et cefaisant, parachève le récit : ils donnent sens au livre, un senssupplémentaire qui dépasse ce qui dit le livre même. Jâai tenu à maintenir ces temps,aussi pour remuer les genres et leurs limites : quelle joie de proposer aulecteur un récit poétique et réflexif, sans intrigue ! La question n'estpas dans la forme choisie mais dans la place du sujet et sa narration (ce quâildit de lui, en tant quâil se pense lui-mêmeou en tant quâil se pense autre),s'il y en a ou pas, comment ou pas. Et pourquoi ? A quoi sertlâécriture ? Qui sert-elle ?  
Pour construire la fiction de soi, sâinventer, certainement.  
Pour sâadresser à ce qui, dans lâautre, se rallie à nous-mêmes, certainement. Sâadresser à la foule, câestsâadresser à ce qui, en nous, nâest rien, pas encore défini.  
En répondant à tes questions, Florence, je peux mâadresser à ce qui, en toi,est ou bien à ce qui nâest pas encore et ta question prochaine interrogeforcément ce que je ne suis pas, ce que je ne sais pas être : quelquâun.Ou du moins câest ce que je chercherai (être personne) pour continuer lâentretien (qui est unexercice dâinvention, nâest-ce pas ?). 
 
 
F.T. :
la question de lâidentité semble cruciale : « nous,les semeurs dâidentité » écris-tu. Identité, genre et nombre : le je et le tu alternent, personnes du singulier, personnes du pluriel, tu lesconvoques quasi toutes, en une sorte de dialectique qui donne lâimpression desâouvrir depuis le soliloque à voix multiples du début jusquâau dialogueesquissé de la fin. Tu parles même dâun « anonyme par excèsdâauteurs ». Il semble que çaparle, et de partout et parfois de façon très intrusive. Que fais-tu de toutcela et penses-tu que lâécriture a (ou a eu ici) un effet cathartique tepermettant de mettre un peu de sens et dâordre dans ce foisonnement anarchique ? Lâécriture poétique permet-elle deprocéder à un remembrement, à une restauration ?  
 
M.B. :
Une des principales questions, à mon sens, câest que noussommes à la fois surdéterminés et à la fois en devenir. Câest tout à faitcontradictoire et cette contradiction crée le dialogue et produit lâaventurehumaine. 
Cette contradiction fait aussi de nous, des multiples, à la fois UN, à la foisUNS. Et nous ne sommes personne, par excès dâauteurs. Tant que notre vie nâestpas terminée, nous ne pouvons quâêtre : personne. 
 
Ecrire, câest provoquer lâavenir. Mais toujours dans le cadre limité de cettecontradiction. Nous sommes libres dans du fermé, incarcérés dans de lâouvert. Cesont ces deux modalités, leur confrontation, qui proposent lâart comme moyenpour avancer. 
 
Ecrire ne permet donc pas une restauration rétrospective de soi-même (le soin)mais elle (lâécriture) invente des issues, des fantasmagories auxquelles onadhère (délires). Elle est dynamique et performative : elle fait advenir.Elle ne panse pas, elle ne dit pas le cri, elle est le cri. Elle ne dit pas,elle est. 
Et quand elle dit, elle est le dire⦠
 
Ce que je veux dire, Florence, câest que lâécriture est aventure et elle estdonc dangereuse. Quâon se perde ou que lâon se retrouve, lâavenir est en jeu etlâissue nâest jamais sûre.  
 
 
 
F.T. :
on éprouve souvent en te lisant le sentiment que lâécriture estpour toi le moyen de tenter de rapprocher, voire de concilier, ou en tous casdâopposer de façon viable autant que vivante des opposés : dehors etdedans, futur et passé, chant et silence. Tu procèdes la plupart du temps parphrases assez courtes, qui semblent sâengendrer mutuellement. Il y a peu derelatives et nombre de termes récurrents. Jâen donne quelques exemples, dénaître, sutures entrelaçantes, le çaction,palimpseste, invagination, mais je note aussi que ces termes récurrentssoulignent la progression du livre car tu en fais un usage intense puissâamenuisant petit à petit⦠ 
 
M.B. :
Cela est simple question de respiration. Les hoquets dessanglots rythment une phrase autant que les hurlements de loup. La matièrevocale amène lâauditeur/lecteur à comprendre implicitement la conscience decelui qui raconte. La musique est un secret. La conscience aussi. Les secretssont rares. Le silence de lâaction dit lenom de lâaction. Dire, ce nâest pas forcément produire un son, câest fairecomprendre. Lâérotisme du phrasé est là : dévoiler sans dévoyer. Je nâendirai pas davantage car le reste est affaire de silences⦠
 
 
 
F.T. :
en conclusion je voudrais te demander si tu serais-tu dâaccordpour dire que ta poétique est, ici en tous cas, une poétique du dé-lire, pour lireet dire le délire mais aussi pour le dé-dire, en délier les constituants, unepoétique pour saper ce qui lie mal, une poétique en forme de coin à poser iciou là pour soulever la masse ce qui écrase, pour desceller ce qui étouffe. Oubien encore pour reprendre une de tes expressions, « une lame ensecret ». Ou bien pour reprendre une autre de tes formulations que« du composite fullcomposite » on serait passé au composé. Du passé composite au passécomposé par le livre, de façon plus ou moins cathartique ?  
 
M.B. :
Cequi est terrible, quand le délire advient, c'est que nous ne sommes plus ici dans ça mais ici et ça. Mais rassurons nous, le délire est très banal et courant.Pour en sortir, grandeur est d'en trouver la vérité, c'est-à-dire le termeséparateur et d'inclusion : dans. Être à la fois avec et à la fois séparé. Être à la fois l'iciet à la fois le ça.  
 
Il faut bien comprendre ceci : quand on devient une chose, on s'en sépare,nécessairement. On se sépare de son idée. Quand lâidée sâachève, on devient.S'adresser au lecteur, qui est une foule dans l'ici, c'est peut-être ça mon moteur. Il faut savoir forcer le réel,câest certain mais on ne peut pas devenir une foule. Et câest ça, la catharsisâ¦Devenir ce qui nâest pas encore et renoncer à ce qui ne peut pas être. 
 
Comme je lâévoquais plus ou moins directement plus haut, je crois que la vraielittérature ne singe pas la vie. Elle est la vie même. Elle nâest pas uncalque, ni une description faite de mémoire de quelques situations données.Elle est la situation.  
 
Pour moi, être « réaliste », câest déterminer ce qui, dans la réalitéest vrai. Et ce qui est vrai, câest ce qui se joue ou rejoue, là, câest la viedans son principe, ici dans ça. Et tout est vrai, y compris le faux, puisquâilexiste.  
Le délire, dont tu parles, câest le commentaire, câest le double. Et lecommentateur est toujours délirant : il y croit. La seule chose quiimporte vraiment, câest la chose commentée, câest la chose agissante, vivante.A laquelle il faut se lier, animalement, pour perdre son sens⦠Câest plus arduà dire quâà vivre, agir est plus simple : il faut se fictionnaliser pourperdre son histoire, pour peut-être arriver quelque part. 
 
Une poétique du dé-part ? 

 

©florence trocmé et mathieu brosseau


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