Contrat
Certaine, triste, terne, dilettante, sinistre, élégante, sibylline, tranchante, assassine, ou distrayante ? Non, sans nation, sans ambition, ni d'un corridor ou d'un mur le décor, sans page à noircir, sans cœur à vider, sans suicide à honorer, sans mort à ressusciter. La poésie n'est pas une orchidée d'ornement qui flétrit dans une véranda aveugle. Comme le vent, elle va et vient et nourrit son antre chaude des entremises ou des retraits d'étain du poète.
Aucun contrat ne l'aliène à qui que ce soit, à quoi que ce soit. Ni au lecteur, ni à la feuille blanchie de neige ou noircie d'averses cendrées. Le poète ne s'enchaîne pas à lui-même. Le pacte est mouvant. Sinon muets et tus, ses émois troublent les eaux saumâtres de son marécage. Il ne sait vraiment lui-même si sous ses coups de scalpel, les globules intoxiqués ou les reflets bleutés de la lune saigneront. Ses boyaux silencieux sont si longs qu'on pourrait descendre en apnée vers une pression impossible ou surpasser l'air exsangue d'oxygène qui enveloppe l'atmosphère. Pareilles à des pales d'asphyxie, la profondeur ou les hauteurs laminent les alvéoles de ses vers haletants. Ces envols violents décharnent le silence de son immobilité.
Le pacte est pareil à la durée du jour, à la couleur du ciel ou de la mer, à la forme des nuages et aux rires sonores des enfants sur les parois volatiles du vent. Ses limites sont des brindilles sèches piétinées sans se soucier du cri de ces bris de bois mort. Car tout pacte est un bois mort, vide de sève et d'avenir, allongé sur un lit d'humus qui l'invite à le rejoindre sur la butte des cadavres décomposés.
Des bois verts, s'échappe un liquide fiévreux qui danse avec les flammes incolores du poète sans brûler leurs ailes qui surplombent le vide. Les mots ne brûlent rien, ne cassent rien, ni brindille, ni bûche, ni branche, ni tronc. Ils plongent au fond des eaux noires ou plus claires des marécages quand le poète libère ses barreaux d'une aube brumeuse. Ils grimpent aux branches basses ou proches de la cimes de ces arbres aux racines gorgées d'une mangrove généreuse.
Jamais, les mots ne se lient dans une chaîne délétère qui a la puanteur des cimetières. Sur le dos des cimetières, poussent des écailles de marbre et les larmes d'un crocodile qui croquent le contrat unilatéral qu'est la vie.
Pour emmurer la mort, on l'envoie à l'aide de cercueils, de béton, de granit dans un pays qui n'existe pas. Les mots, eux ne s'enferment dans aucun tombeau, dusse-t-il être celui de divines danaïdes. Ivres et libres, livrés à l'incandescence d'un papier d'Arménie, ils parfument l'air des montagnes, de l'eau et de la terre. Filaments de fumée multicolores évadés de tout horizon humain.