
La fin de la nuit
#1
Posté 11 novembre 2013 - 08:42
Viens ! Nul ne regrettera une existence absurde
-ment vouée à la série. Et moi, vois-tu ?
J'ai assez vu de cette humanité embrigadée
par des démons de diverse nature, aux ambitions stériles
et qui n'avaient en fin de compte qu'un même but,
faire une pierre de ce qui respire, figer le tremblement
qui manifeste toute la fragilité de l'être. Et puis,
vois ! J'ai dédié m'a vie tu le sais non aux miens
ni à celle que j'aime même, non ! à un mot
et à un mot qui n'est que soir encore. Me voilà à mon soir !
Et c'est pour moi la perfection de l'heure, même,
que celle qui promet que série va finir. Oui, finir !
Qu'ai-je fait d'autre que guetter cette série parfaite
qui dit qu'elle finit et ne fait pas autrement ?
Las, tu le sais ô ma mort. J'ai connu
toutes les sortes de séries. Je veux dire : celles qui sont sues
parce qu'on les a dites. Tu sais que je n'ai vu
de série ô ma mort que là où on l'a énoncée,
que je n'ai jamais vu moi-même cette chose sans nom
et que là où mes lèvres pouvaient prononcer
ce doux vocable amer et pur comme un cognac,
j'étais toujours présent. Même contre mon gré. Même fiévreux,
armé de concepts sûrs, hérités des linguistes d'hier
qui nous permettent aujourd'hui de voir ce que dit la série
sur l'axe paradigmatique-syntagmatique de nos proférations.
J'avais parfois un arc-en-ciel dans les plis de mon souffle, sais-tu ?
J'avais en ma pensée un clavier infini de significations. Et une histoire
qui n'est que celle d'un mot, je te l'accorde.
Mais déjà, ô ma mort tu ne me contrediras pas, tellement plus
que moi. Et traversée de part en part de ces anecdotiques
vies humaines que tu soulages de ta faux allègre.
Dans les écrits les plus dogmatiques comme dans les lettres
les plus périssables, les programmes télévisés
ou les mémoires techniques, dans les propos frivoles
de mes contemporains ou dans la presse magazine
je la savais errante, comme moi, charriant comme un escargot son histoire
qui est tout ce qu'elle a, sa seule maison !
Et puis les oasis de la pensée, parfois. Nous nous y retrouvions.
C'était l'homme aux mille joies de vivre, Denis Diderot
et la série était un peu de la malice du philosophe
qui aimait. C'était le rêve réalant de Gérard de Nerval
qui cherchait sa maman. En elle. Tandis que tu riais. Gérard pleurait sa jeune mère
perdue, la revoyant dans toutes celles de ses voisines qui lui ressemblaient assez
pour que l'histoire soit telle à un palimpseste
où le poète ne fait que prolonger un rêve médiéval
et cosmique ! Toi, tu as pu être jalouse, ô mort ! de cette série qui n'était rien, pourtant, qu'un accessoire
de la parole articulée. Mais que Charles Fourier
avait sacrée avant Proudhon et tous les scientifiques !
et que la poésie méconnaissait, hautaine, peu regardante
jusqu'à André Breton au caractère sévère et aux intuitions justes,
qui l'a fait entrer au vers quand tous la rejetaient. Avant de partir
avec toi, derrière la clôture de mon histoire sérielle,
laisse-moi remercier ce dandy si sensible, riche de ses errements
mais qui savait que la vie n'est rien hors l'amour fou
et la série. Et puis laisse-moi aussi
agiter un petit mouchoir blanc aux broderies faites de reprises
jamais identiques à ces grands musiciens qui m'ont offert
l'écoute de l'inouï, la mélodie de nos silences
et les vertiges de la dimension diagonale. Pierre Boulez !
Anton Webern. Karlheinz Stockhausen. Bruno Maderna. Luigi Nono. Et puis aussi
Arnold Schoenberg au caractère imprévisible et qui savait
que l'oeuvre qu'on entend dépend aussi bien de la chaise
sur laquelle nous sommes installés. Et moi, j'étais mal
installé, tu le sais, ô ma mort. Je n'étais qu'un morceau de bois
que la pluie a pourri et les enfants cassé. Pourtant,
je n'étais jamais seul car la série me redisait
les mille histoires de son énonciation. J'aimais ces lèvres
qui ne finiraient jamais de déposer d'étranges baisers
de sens, de rêve, d'utopie et d'observation. Mais c'est fini
puisque tu me le dis. Je le veux bien. Ce n'est pas elle
ce qui doit finir. C'est moi. Toi, n'attends pas que je me révolte.
Je suis prêt. Mes livres sont fermés. Mon poème épuisé. Mon étude
n'aura fait qu'effleurer le domaine français des quatre derniers siècles
quand je rêvais de brasser les pensées de l'Europe
et du monde, même ! et seulement à travers elle. Assez.
Prends-moi. Elle n'a pas besoin de moi pour aller, tu le sais
aussi bien que moi. Laisse-moi seulement tremper mes lèvres
une dernière fois dans l'amertume dorée du cognac. Et puis je t'accompagnerai,
D'accord ? J'ai relevé les yeux dans le silence
de mon appartement. Or, le jour se levait. Sur sa chaise,
la mort ronflait, endormie. Elle aussi,
je l'avais assommée avec l'histoire de la série.
- bibi, Thomas McElwain et Mariam Bouaoud aiment ceci
#3
Posté 11 novembre 2013 - 09:25
Merci et bonne reprise !
#4
Posté 11 novembre 2013 - 09:46
#5
Posté 11 novembre 2013 - 10:04
Serioscal, ce texte est sublime, tendre, fort et abouti.
Une magnifique réponse à tous ceux qui essaient de ridiculiser ton travail vrai.
- bibi et Thomas McElwain aiment ceci
#6
Posté 11 novembre 2013 - 10:22
je suis dans l'embarras du choix
entre le Maître J.G Mads
et le Génial serioscal
je ne sais plus entre les deux
vraiment à qui remettre le Nobel
bibi 2013
#7
Posté 11 novembre 2013 - 12:07
Aure, je ne savais même pas que ces gens existaient et ce poème ne leur est pas adressé. Il fait signe, plutôt, à tous les êtres bienveillants qui m'entourent dans ce monde et dans l'autre. Et aussi dans l'intermonde.
Et puis s'il trahit une tendresse particulière, ce n'est pas tout à fait fortuit. On ne fait rien sans amour. Et comme disait Watatzumi Doso, nuit profonde égale quête de la lumière.
Bibi, tu es notre prix Nobel. Tu ne sais qu'un morceau de bois vermoulu ne peut recevoir une telle distinction. Si tu veux le céder, n'hésite plus et tends-le à notre maître qui semble être parti tutoyer la divinité ces temps-ci.
En revanche, j'ai quand même un problème. Elle ronfle fort et j'ai une petite appréhension à savoir si je dois la réveiller. D'autant que je ne lui ai pas encore parlé de telenovelas.
#8
Posté 11 novembre 2013 - 12:35
http://www.google.fr...ved=0CAcQ_AUoAA
Ça se passe de commentaires, non ?
#9
Posté 11 novembre 2013 - 11:55
#10
Posté 12 novembre 2013 - 03:45
#11
Posté 12 novembre 2013 - 04:57
En outre, ce n'est un texte pour ou contre la mort. Je me suis largement inspiré de la grande tradition chrétienne mais étant athée, je ne vais pas embêter la belle Geneviève.
Merci du passage !
#12
Posté 12 novembre 2013 - 05:30
Mais tu te rappelles avant dans les commentaires je te prévenais de la part de Marie La Vierge - que si tu continues Elle te laissera tout seul en face de la mort. C'était sérieux.
La mort - une de ses mains c'est madame "homosexualité" et autre madame "inquisition" - je connais non seulement théoretiquement comme tu l'as remarqué en lisant mes textes qui sont bien autobiographiques tous.
#13
Posté 12 novembre 2013 - 06:29
Merci pour ce jmagnifique poème
Bonne soirée
Allaoua
#14
Posté 12 novembre 2013 - 06:43
#15
Posté 13 novembre 2013 - 05:34
Ce n'est pas cela la gloire!)
Mais effectivement pour parler avec elle il faut aller te ballader entre ces moumies fameuses... Mais du coup tu rencontres Dimitri et Marie qui tiennent la mort par sa jambe prophétiquement...
Et Génévieve aide)
#16
Posté 13 novembre 2013 - 06:57