Des regrets ? Je ne saurais être gouverné par d'hypothétiques regrets. Chez moi le présent est seul souverain, monarque absolu. Toutes mes décisions sont bonnes puisque je les ai prises. Il m'arrive même de changer d'avis.
J'ai compris que l'agrégation de Lettres n'est pas pour moi. Tu parles d'un concours, moi j'appelle ça un bizutage ! Plusieurs années d'austères études de sacrifice érudit chiant et assommant parcours du combattant pour avoir quoi une chançounette sur mille de passer un jour sous-officier dans l'Éducation Nationale ?! Bof !! Je ne suis si maso ni possédé par l'Ambition, ni assez cupide non plus ; je n'ai point ce démon de l'échelon supérieur sur mon épaule. Rétif à tout grade, dressage, hostile. Réfractaire à l'école. Ni mouton ni perroquet savant. Vraiment, je fuis toutes formes de responsabilités, pouvoir, engagement, implication, carrière... Mais bon je suis peut-être un âne de tout refuser : carotte et coups de bâton ?
C'est marrant que tu évoques cette possibilité de regrets, parce que finalement la question se pose peut-être : je songe en effet à me reconvertir, à changer de ministère avant qu'il ne soit trop soir, j'aimerais me métamorphoser en bibliothécaire pépère pour mes 40 ans. Je rêve d'un poste à la médiathèque, aux archives. Je ne désire pas engraisser pour rien toute ma vie les petits cochons à la confiture. Qu'ils aillent se fassent bouffer dévorer par le Grand Méchant Loup-Système-Marché du Travail-Chômage, que le monde décérébré inculte aille à sa perte, je m'en fous et tant pis. Que l'ignorance règne, je retire mes billes (du feu). Cramé chuis, je quitte ce noble métier parce qu'il est passionnant.
Mon entière vitalité y sera passée, consumée, pffuitt.
J'ajoute-précise : la littérature n'est pas mon affaire – mais la création artistique. Les écrivains que j'aime sont philosophes-artistes, pas littérateurs. Or, de tels poètes, on en trouve dans toutes les disciplines : musique, peinture, cinéma, mode, etc. Même chez les scientifiques. Même dans le sport. Je m'intéresse aux créateurs fertiles qui ont un style direct et furieusement émouvant, une vie inspirée, et qui nous lèguent une œuvre originale totale. Ergoter sur les propositions subordonnées conjonctives circonstancielles chez Stendhal ou se promener dans l'arbre psycho-généalogique de Madame de Sévigné, non merci... Éluard et sa niaise poésie de cocu ésotérique, Montesquieu et ses ethnophantasmes copiés-collés... Qu'ai-je à foutre de ces chinoiseries emmerdantesques ? Pourtant, je n'ai pas perdu le goût d'étudier : je passe mon temps à étudier : le latin et le grec ancien, la philosophie de Nietzsche...
En somme, je suis un fonctionnaire en quête d'une passerelle entre l'Éducation Nationale et la Culture... Par où, sais-tu, la sortie de secours ?
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