Lindustrialisation, la technologisation, exercent une pression sur le lexique, et cette pression se traduit par la création de néologismes, comme par la remotivation de termes existant. La locution en série pour production, fabrication en série (attesté en 1903) a eu de lourdes conséquences sur le sémantisme du substantif série, quelle a tourné du côté de la répétition. Dans les années quatre-vingt, apparaîssent, dans la critique artistique et littéraire, des conceptions du sériel comme répétitif, ou itératif. En Italie, cest Umberto Eco qui a fait les tentatives les plus remarquables, dans ce sens. En France, cest dans le vocabulaire des arts plastiques que le mot, galvaudé, a pris cette valeur, on dirait par défaut.
Série devient en série. Une présentation de lexposition Robert Morris, en 1995, à Beaubourg, parlait d une fabrication qui exclue la trace de lartiste, à partir de la répétition identique et de la mise en série . Dans un autre contexte (mais les thèmes se rejoignent), c'est Michel Thevoz qui, analysant lart brut de Carlo, ne voit dans les toiles de lartiste que les séries1, ne voit dans les séries que la répétition, une répétition qui obère la structuration : lhomme surtout apparaît essentiellement sériel. On perçoit litération des motifs avant de sattacher à aucun deux en particulier 2.
Dans la conception de Thevoz, le sériel est clinique. Cest que le sériel est nettement tourné du côté de la répétition : rares sont les motifs uniques chez Carlo ; la plupart du temps, ils se redoublent . Plus encore, lélément sériel soppose à lorganisation pour Michel Thevoz : cette pression figurative ubiquitaire empêche la composition de sarticuler et de se constituer en un tout organique. Et linterprétation de ces séries reste toute psychologique, liée à lobsession et à laliénation. Second enfermement de Carlo : Cest sans doute cette obsession de la dissolution qui incline Carlo à multiplier les figures par quatre, nombre essentiellement divisible, symétrique et inorganique [sic], bien propre à faire échec à la totalisation . Il serait intéressant de confronter plus amplement les thèses de Thorez et celles dUmberto Eco, qui dans son article Pour une esthétique post-moderne a ramené -- et restreint dune façon singulière -- le sériel à la répétition, mais pour faire de la répétition un principe artistique universel, voyant dans la répétition une source psycho-physiologique de plaisir.
1 Il faut cependant souligner que ce nest pas Michel Thevoz lui-même qui appelle séries les motifs distribués sur la peinture : on peut mentionner, entre autres titres, celui de Serie di barche e nom bianco su sfondo bianco.
2 Michel Thevoz, Art brut, p. 154-155.

A l'identique
Débuté par serioscal, nov. 22 2014 10:07
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