Il faut l'écouter, lui, lire ses poèmes : même si tu ne comprends pas l'allemand, je crois que tu entendras l'essentiel.
Je me suis prêtée à cet exercice^^
Lecture inouïe en effet -en langue allemande- que celle de Todesfuge par son auteur (de poésie il s'agit, c'est donc bien là le point névralgique que très justement tu évoquais -une terrible épreuve). Hannah, ma compréhension de l'allemand étant particulièrement rudimentaire (mais l'anglais aidant), je me suis certes laissé guider dans cette quasi obscurité par les indices des mots simples, mais tout autant (et peut-être davantage) par les autres qualités acoustiques du texte, de sa lecture
et tout ce que j'entends se recoupe
Je retiens plusieurs changements de rythme. Il est d'abord saccadé, en séries de syllabes hachées, évoquant un défilé, une possible reproduction à des milliers d'exemplaires. Pompe. Pouls. Ponction. Le rythme devient ensuite bousculé, agité. Pour retomber, sourcils vers le bas, dans l'accablement. Et venir échouer sur presque rien, l'infime, l'indicible. Je retiens l'emphase avec laquelle Paul Celan appuie ou démembre certains mots ; dans le désordre: « Schwarze Milch » (anaphore sur l'oxymore probablement le plus absolu qui soit), « wir trinken sie, wir trinken dich, wir trinken und trinken » à tout instant du jour et de la nuit (et dans la répétition l'on se noie), «ein Grab » (cet effrayant RA de la répétition et de la note grave), « dein goldenes Haar Margarete » (le soyeux, l'or), « ein Mann », «seine Augen sind blau » (transparence, est-elle pure -glaciale), avant que ne tombe « der Tod ist ein Meister aus Deutschland ». Je retiens encore la charge infernale des A dans ces mots mêmes (A de l'absence, du temps, de l'éternité, d'une certaine menace hiérarchique aussi). Enfin, je retiens l'industrie du segment répété, cet ostensible effet de mise en boucle : les mots reprennent, plus opaques vers la fin du texte, l'eau des larmes dans les mots, mots de fumées, de sons pâles tombant de la bouche,
et tout ce que je retiens se recoupe
il s'est opéré une ponction oculaire, exorbitante, exorbitée
puis je relis tes deux poèmes, Hannah
merci : )