LA PLUIE
Que j'aime cette pluie qui tue enfin les bruits
Son doux ronronnement étouffe les clameurs
Répercutées d'échos montant des profondeurs
Que j'aime cette pluie qui tue enfin les bruits !
Plus de boum-boum enfin noyés dans l'eau tombante,
Pénétrant en jouant les membranes fumantes :
Les circuits ont grillé, mis hors d'état de nuire
Vive la pluie qui tue tout ce qu'on doit maudire !
Les coqs ne peuvent plus, comme poules mouillées,
Les ailes repliées, pousser leurs cris d'orfraie ;
Époumonés, penauds, ils penchent bas leur crête
Comme une ouïe blessée sur leur stupide tête.
Que j'aime cette pluie tombant en rangs serrés
Interdisant aux chiens de venir déféquer
Jusque devant ma porte pourtant protégée
D'engins malins censés pouvoir les refouler.
Que j'aime cette pluie qui les empêche aussi,
Les repoussant au fond d'un jardin déserté,
D'aboyer, dératés, comme rats détrempés,
Frileux, amers, floués, parfaitement transis.
De toute la journée de ce vingt-huit janvier
Je n'ai pas entendu un seul chien aboyer
Zeus, en qualité de Chtonios, dieu de la pluie,
Tant de fois imploré, que je te remercie !
Même tous ces fruits mûrs accrochés au figuier
Ont pu se préserver du merle si vorace,
D'ordinaire moqueur mais tant désemparé
Qu'il ne put y goûter malgré sa grande audace
Pascal affirmait bien : "De l'homme le malheur
Vient de ce qu'il ne sait rester seul en sa chambre".
Puisse tomber la pluie de janvier à décembre
Afin qu'il s'y tienne et y trouve son bonheur !
En averse furieuse elle cloue aux abris
Tous ces petits soldats des manifestations
Qui sans elle eussent fait – faut-il donc qu'on l'oublie ? –
Une grève appelant quelque révolution.
A vaincre sans péril on triomphe sans gloire
Mais je savoure là une grande victoire
Et tout comme Moïse sauvé par les eaux,
Je me vois en de Gaulle prononcer ces mots :
"Tahiti outragée, ô, Tahiti brisée !
Île martyrisée mais enfin libérée"
L'ennemi aux abois (!) est-il enfin battu ?
Ou faudra-t-il ailleurs chercher notre salut ?