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(Entretien) avec Philippe di Meo, autour d'Andrea Zanzotto, par René Noël


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Posté 14 juin 2017 - 10:50

<p> </p>
<p class="blockquote MsoNormal" style="text-align: justify; line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif'; letter-spacing: 1pt;"> <a class="asset-img-link" href="http://poezibao.type...c91f6970c-popup" onclick="window.open( this.href, '_blank', 'width=640,height=480,scrollbars=no,resizable=no,toolbar=no,directories=no,location=no,menubar=no,status=no,left=0,top=0' ); return false" style="float: left;"><img alt="Zanzotto_andrea-petite Corti" class="asset asset-image at-xid-6a00d8345238fe69e201b8d28c91f6970c img-responsive" src="http://poezibao.typepad.com/.a/6a00d8345238fe69e201b8d28c91f6970c-75wi" style="width: 50px; margin: 3px 15px 5px 0px; border: 1px solid #969696; box-shadow: 8px 8px 12px #aaa;" title="Zanzotto_andrea-petite Corti" /></a><strong>René Noël :</strong> Vocatif<em> est le cinquième livre d'Andrea Zanzotto que vous éditez chez Nadeau. Que représentait ce poète aux yeux de Nadeau ? Comment l'avez-vous persuadé de l'importance de ce poète ?<br /> </em><br /> <strong>Philippe di Meo :</strong> Soulignons tout dâabord quâil y a donc continuité éditoriale. <em>Le Galaté au bois</em> dâAndrea Zanzotto, à ce jour épuisé, venait de paraître chez Arcane 17, la <em>Quinzaine littéraire</em> en avait donné un compte rendu très fin signé rien moins que par Michel David, lâauteur de : <em>La Psicoanalisi nella letteratura italiana</em>, ouvrage malheureusement non traduit à ce jour en français. Aussi ne fut-il pas difficile de &quot;persuader&quot; Maurice Nadeau qui sâétait, si jâose dire, persuadé lui-même par sa lecture de ce même recueil et par lâautorité du Directeur du Centre dâÉtudes Italiennes le plus prestigieux de France, celui de Grenoble. Comme tout échange avec Maurice Nadeau, nos conversations portaient lâempreinte dâune cordialité enjouée où la pointe désopilante emboîtait le pas à bien des fulgurances. Pour lâanecdote, je me souviens lâavoir fait rire en rappelant que certaine partie de la critique entendait, faute de mieux, ranger lâÅuvre dâAndrea Zanzotto sous lâétiquette &quot;maniériste&quot; fourre-tout.  <br /> <br /> <br /> <a class="asset-img-link" href="http://poezibao.typepad.com/.a/6a00d8345238fe69e201b8d28c9204970c-popup" onclick="window.open( this.href, '_blank', 'width=640,height=480,scrollbars=no,resizable=no,toolbar=no,directories=no,location=no,menubar=no,status=no,left=0,top=0' ); return false" style="float: left;"><img alt="Vocatif" class="asset asset-image at-xid-6a00d8345238fe69e201b8d28c9204970c img-responsive" src="http://poezibao.typepad.com/.a/6a00d8345238fe69e201b8d28c9204970c-75wi" style="width: 50px; margin: 3px 15px 5px 0px; border: 1px solid #969696; box-shadow: 8px 8px 12px #aaa;" title="Vocatif" /></a><strong><em>R.N</em></strong><em>. : Depuis vos premières traductions, vous écrivez des textes critiques qui de fait sont des essais qui contextualisent cette poésie. Un &quot;cadastre&quot; opère pour reprendre une de vos expressions, fait de géographie, d'histoire, de biographie où les traditions littéraires et contemporaines d'Italie cohabitent et finissent par accoucher d'une singularité familière à ceux qui la découvrent. Y a-t-il un cas Zanzotto, et si oui, en quoi consiste-t-il ?<br /> </em><br /> <strong>Ph. D.M</strong>. : Dans la présentation des auteurs italiens que jâai eu la chance de proposer et de pouvoir traduire, il mâa semblé utile dâaller toujours au-delà de lâhagiographie ou de la plate paraphrase &quot;gendelettres&quot;, fût-elle élégante. Vous dites &quot;essais&quot; à bon droit, car mon modèle est italien. Chez nos voisins, une présentation doit constituer un viatique de lâÅuvre présentée. LâÅuvre doit donc être décrite, analysée au plus près et située dans son contexte culturel, dâabord, dans lâhistoire du genre où elle évolue, ensuite. Pour un poète de cette envergure, fortement novateur, cette opération était au reste un préalable à la traduction, aux choix que cet exercice ardu suppose : définir le ton, le registre lexical, lâarticulation des styles appartenant à des registres dissemblables et à des âges irréductibles, à des langues différentes, avec une forte présence du français, de lâallemand, de lâanglais et, çà et là, de latin, de grec. On y trouve même du serbo-croate, pour ne rien dire du dialecte haut-trévisan ou de celui de la ville de Venise â comme dans <em>La Veillée</em> (épuisé à ce jour). <br />          Enfin, cette volonté de rendre compte de la recherche poétique dâAndrea Zanzotto dit lâattrait que sa poésie suscite. Que veut-elle dire ? Car le lecteur de poésie a été rarement confronté à un appareillage de vers aussi éloquent capable dâassocier, à partir de <em>La Beauté</em> (1968) des styles issus de traditions stylistiques hétérogènes. Même si les figures qui commandent cette vaste dérive au sein du corpus entier de la poésie occidentale à travers lâitalienne est posé dès <em>Vocatif</em> (1957), notamment par les figures de lâ&quot;azur&quot; du &quot;très riche nihil&quot;, du &quot;fuisse&quot; (<em>avoir été,</em> en latin). Figures qui se métamorphoseront dans le couple singulier Hölderlin-Tallemant des Réaux dans lâÉlégie en <em>petèl</em> (ce langage onomatopéique des mères avec leur bébé) de <em>La Beauté</em>. LâHölderlin de la fin, celui qui signe Scardanelli ses brefs poèmes campés au bord du mutisme. <br />          Dès <em>Vocatif</em>, Zanzotto opte pour une narration poétique non linéaire mais conçue par moments-crise dont le lecteur reconstitue le contexte dâindice en indice. Pourquoi ? Parce que la vérité du dire, de lâaffect, est visée. Parce quâil faut malgré tout parler. Ce besoin est si impérieux que sous le titre de <em>Vocatif</em>, comme en filigrane, on peut lire aussi le latin <em>vi coactus</em>, la formule notariale dâun écrit rédigé sous la contrainte. <br />          Mû par un tel désir, le poète nâignore pas que le langage, le langage écrit davantage encore, menace de se figer en stéréotypies délétères qui réitérées finissent par prendre le pas sur la signification <br />          En ce sens, dès <em>Vocatif</em> Zanzotto ne peut pas ne pas réfléchir aux pouvoir du langage et à ses impasses, aussi entreprend-il dâentamer une véritable critique du langage. Critique qui équivaut paradoxalement à son exaltation car il puise à de nombreux styles et lexiques sans vouloir pleinement sâidentifier à aucun dâentre eux. <br />          Dans un état proche de la prostration, il perçoit le vide du ciel, arraché à la métaphysique pour être reconduit à une pure perception physique oculaire, celle de la pure abstraction dâun &quot;azur&quot; sans consistance, profondeur ni sens. &quot;Azur&quot; lui-même bientôt assimilé à un &quot;très riche nihil&quot;. Car dans le vide du ciel, physique répétons-le, toutes sortes dâévénements météorologiques surviennent : nuages, orages, tempêtes, éclaircies, grêles. Comme la dureté déserte dâun pur &quot;azur&quot; ces mêmes événements, réels et métaphoriques, autorisent la vie. Dâoù le paradoxe dâun &quot;azur&quot; mué en &quot;très riche nihil&quot;, son inverse imprévisible. <br />          Notons la nomination paradoxale â une nomination indirecte â de &quot;très riche nihil&quot; pour désigner le foisonnement, le fourmillement du vécu. Conséquence logique de ces riches intuitions, lâexpression devra comporter certain déficit narratif contrebalancé par une suggestion symbolique dâautant plus forte quâelle sera suggérée. Au lecteur responsabilisé dâassocier les indices épars patents aux suggestions symboliques latentes. <br /> À la même époque, tout à sa réflexion sur le langage, Zanzotto enregistre lâérosion des langues à travers le dialecte de sa région natale disparaissant à petit feu. Nâévoque-t-il pas des &quot;gens&quot; &quot;désormais sans dialecte&quot; dans <em>Vocatif</em> ? <br />          Nous avons, donc, dâun côté une défiance vis-à-vis du signifiant, du dire, de lâautre, une conscience de lâhistoricité des langues et donc de leur caractère transitoire. Dans cette optique, chercher à donner des &quot;mots plus purs&quot; à la &quot;tribu&quot; sâavère vain dans la mesure où toute langue sâeffacera pour en engendrer une autre. <br />          Lâhéritage de tradition pétrarquiste est mis à mal par cette découverte dans son projet dâélaboration dâune langue idéale, et idéalisée, voulue soustraite à lâhistoire et jouée sur un petit nombre de figures à infiniment combiner pour lâéternité. <br />          Aussi, dès <em>Vocatif</em> Zanzotto élargit sa palette, incluant des termes scientifiques, techniques, des latinismes abrupts, des langues étrangères et même un écrit brut relevé sur un &quot;mur de campagne&quot;, comme dans le poème intitulé <em>Entretien</em>. <br />          Cependant, la visée du sublime héritée de la tradition pétrarquiste continue à opérer comme registre apaisant et nécessaire face à lâalbum des horreurs proposées par lâhistoire, matérialisée dans <em>Vocatif</em> par les souvenirs de la Résistance et du nazisme. Câest pourquoi, loin dâêtre effacé le registre pétrarquiste sâavèrera simplement régionalisé dès <em>La Beauté</em> ; il nâest cependant plus la totalité mais simplement une composante nécessaire de lâexpression poétique : la postulation impérieuse ici et maintenant dâun au-delà de lâhistoire, dâune autre histoire, malheureusement non avérée. Le registre monolinguistique composera avec le plurilinguisme (1) dont il devient une composante.<br />          Dans sa logique interne, le moment pertinent de cette poésie deviendra alors celui de lâarticulation. Le texte poétique ne sera plus conçu comme un tissu statique et linéaire mais comme un véritable cadastre de parcelles langagières de dimensions et sens différents. Je développe, comme vous le soulignez si bien, ce thème dans le numéro 58 de la revue <em>Nu(e)</em> entièrement consacré à la reconnaissance critique de lâÅuvre du poète de Vénétie (211 p.) auquel je me permets de renvoyer les lecteurs intéressés. Le très beau poème dâouverture du recueil <em>Idiome</em> (José Corti, 2006) intitulé <em>Les articles de G.M.O.</em> est, parmi beaucoup dâautres, un bon exemple de cette façon de faire. <br />          Plus tard, en 1978, dans <em>Le Galaté au bois </em>(épuisé à ce jour), Zanzotto symbolisera graphiquement pareille articulation par un &quot;[   ]&quot;, des parenthèses carrées dépourvues de points de suspension envisagées non comme une suspension, il est important de le noter, mais comme une conjonction. <em>More vacuum</em>. Une conjonction supposant une coupure. Dans le champ de la prose, Carlo Emilio Gadda exaltait lui aussi une composition par &quot;passages (<em>tratti</em>)&quot;, dont toute son Åuvre témoigne. Donc, une composition brisée mais unitaire.<br />(Pour lire la suite cliquer sur le lien ci-dessous)<br /><br /></span></p><br /><br />  <br /> <br /> <br /> <a class="asset-img-link" href="http://poezibao.typepad.com/.a/6a00d8345238fe69e201bb09a56a5d970d-popup" onclick="window.open( this.href, '_blank', 'width=640,height=480,scrollbars=no,resizable=no,toolbar=no,directories=no,location=no,menubar=no,status=no,left=0,top=0' ); return false" style="float: left;"><img alt="La beauté" class="asset asset-image at-xid-6a00d8345238fe69e201bb09a56a5d970d img-responsive" src="http://poezibao.typepad.com/.a/6a00d8345238fe69e201bb09a56a5d970d-75wi" style="width: 50px; margin: 3px 15px 5px 0px; border: 1px solid #969696; box-shadow: 8px 8px 12px #aaa;" title="La beauté" /></a>
<p class="blockquote MsoNormal" style="text-align: justify; line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif'; letter-spacing: 1pt;"> <strong><em>R.N</em></strong><em>. : Peut-on dire à la lecture de </em>Vocatif<em> (1957) que déjà Zanzotto perçait sous Andrea ? En quoi </em>Vocatif <em>marque-t-il une étape cruciale dans son univers ? <br /> </em><br /> <strong>Ph. D.M</strong>. : Dans lâÅuvre de Zanzotto, <em>Vocatif</em> constitue une étape décisive car il sâagit dâun moment de crise tout à la fois personnel et stylistique. Lâanecdote privée, que chacun peut reconstituer en partant de lâ<em>Appendice</em> ajouté à la seconde édition italienne du recueil en 1984, sâest accompagnée dâune exigence : comment tenir un discours de vérité sur la page ? Le poème intitulé <em>Impossibilité de la parole</em> est à cet égard parlant. Comment conjurer le spectre du poncif menaçant toute écriture ? Une réflexion sur le langage sâensuit. Zanzotto repart de lâinterrogation de tradition rimbaldienne : &quot;ô comment vous parlerais-je ?&quot;, écrit-il. Il sâattache alors à explorer les rapports du dit et du non-dit, du dit et du mal dit, du dit et du maudit aussi, et bien évidemment du sens et du signe. <br />          De sa crise, il ne produit nul récit mais se borne à camper la violence des moments de crises. Il finit par obtenir ainsi un effet dâintensité stridente. Dans cette façon de faire, le langage se pare dâune évidente valeur de signe, désormais il dénote plus quâil ne note. La violence du ressenti, la vérité de lâaffect sont préservés parce que suggérés, partiellement soustraits à lâunivocité du signifiant. <br />          Nous sommes avant 1957, date de publication du recueil, Zanzotto développe dans ses poèmes une idée que Lacan communiquera seulement en 1966, lors de lâédition de ses <em>Écrits</em>. La critique française et italienne a abondamment souligné cet aspect du travail du poète de Vénétie. Citons à cet égard Michel David dans <em>La Psicoanalisi</em> <em>nella letteratura italiana</em> et Stefano Agosti dans lâanthologie des <em>Poesie</em> dâAndrea Zanzotto quâil a donnée chez Mondadori en 1973, constamment rééditée depuis. <br />          Dès cette époque Zanzotto marche sur deux jambes, autrement dit, deux figures stylistiques fondatrices qui commandent toute lâévolution stylistique successive : lâ&quot;azur&quot; de notre ciel physique assimilé à un vide menaçant lâêtre, la parole et la signification, dâune part, et, dâautre part, le &quot;très riche nihil&quot;, ou survenue paradoxale dâévénements météorologiques dans cet espace précédemment désert. <br />          Il sâagit bien évidemment de métaphores de deux registres langagiers si typiques de lâamble des phrases dâAndrea Zanzotto qui parcellarise du même coup ses énoncés poétiques comme un cadastre le fait des surfaces : lâ&quot;azur&quot; comme réticence et raréfaction de la parole, le &quot;très riche nihil&quot; comme prolifération verbale acentrique. <br />          Deux registres verbaux clairement antithétiques donc dont lâespace interstitiel autorise un discours de vérité selon un signifiant ainsi fendu. Oui, un <em>signifiant fendu</em>. <br />          Zanzotto tirera toutes les conséquences langagières de ces fertiles découvertes-là dès <em>La Beauté</em> (Maurice Nadeau, 2000) assignant du même coup la figure de lâ&quot;azur&quot; à Hölderlin-Scardanelli et le &quot;très riche nihil&quot; à Tallemant des Réaux, premier évoluant au bord du mutisme, le second dans une jactance intarissable. Relativement opaques lâune comme lâautre. &quot;Mieux chercher le plan de clivage/ pour travailler en diamant&quot;, écrit le poète dans le poème intitulé <em>Ampoule (kyste) et en dehors</em> (<em>La Beauté</em>). Son texte, &quot;clivage&quot; aidant, sera désormais facetté.  &quot;Je vois Hölderlin et Tallemant des Réaux bras dessus bras dessous/ surimpression je les surimpressionne&quot; reprend Zanzotto dans deux vers célèbres de <em>Lâélégie en petèl</em> de <em>La Beauté</em> pour ajouter aussitôt : &quot;Que Scardanelli fasse la page pour Tallemant des Réaux,/ que Scardanelli soit compilé avec des passages de lâHistorie dâO&quot;. Facetté, le poème sera également lacéré et cette lacération ne sera pas déchirure mais bel et bien une articulation dâun nouveau genre. La continuité discursive ne sera plus linéaire mais symbolique. Autrement dit, la discontinuité narrative devient de cette façon une continuité dâun autre type : proprement symbolique. Le texte ayant lui aussi &quot;horreur du vide&quot;. <br />          Alors, de <em>Vocatif</em> à <em>La Beauté,</em> lâ&quot;azur&quot; et le &quot;très riche nihil&quot; y ont gagné leurs épigones â Hölderlin-Scardanelli et Tallemant des Réaux â pour articuler depuis lors (1968, pour lâédition italienne) toute la poésie ultérieure de Zanzotto.<br /> <br /> <br /> <strong><em>R.N</em></strong><em>. : </em>Surimpressions<em> (paru en 2001 en Italie) rime avec une maturité du poète où sa singularité trouve une capacité à faire raisonner le passé dans le présent. </em>Vocatif<em> a lieu dans une nature intègre, non saccagée, le poète se cherche en porte-à-faux avec l'histoire et cette nature belle et muette, quand </em>Surimpressions<em> figure une nature dévastée aux défenses potentiellement redoutables alors même que le poète est à son sommet. N'y a-t-il pas là une source du tragique entre la nature et l'homme qui se trouvent toujours d'une certaine façon en porte-à-faux l'une par rapport à l'autre ?<br /> </em><br /> <strong>Ph. D.M</strong>. : Contrairement à celle des avant-gardes, qui a souvent été un romantisme diversement technolâtre, productiviste peu ou prou mystique, quoi quâil en soit foncièrement historiciste, la dimension temporelle de Zanzotto est celle dâun futur antérieur. <em>Futur simple ou antérieur</em> est au reste le titre dâun magnifique poème de <em>Phosphènes </em>(José Corti, 2010). Le futur est raccordé par le contexte où il se manifeste et déterminé par lui. Comment pourrait-il en être autrement ? Le futur ne vient pas de nulle part, par hasard ni de lui-même comme certains avant-gardistes extrémistes semblaient vouloir le donner à croire et même le croire ! <br />          Dans la dernière partie de sa vie, lâenseignant Zanzotto qui avait encouragé nombre de ses élèves à entreprendre des études scientifiques comme son fils aîné, physicien et mathématicien éminent, réfléchissait au dilemme proposé par la technique : jamais, comme à lâépoque de ce que la prix Nobel de chimie 1995 Paul Crutzen a appelé lâ<em>anthropocène</em>, une ère dans laquelle lâhomme devient lui-même une force géologique de fait, lâhumanité nâavait été à ce point capable de créations prodigieusement créatrices mais, dans le même temps, jamais elle nâavait été aussi destructrice, réellement et potentiellement : dâHiroshima aux espèces vivantes menacées. Dont lâhomme lui-même, donc. <br />          Les intérêts particuliers semblent lâemporter sur lâintérêt général. Lâéconomie entame sauvagement le cadre naturel, trop souvent pour lâenlaidir et, pire, pour nous empoisonner à petit ou à grand feu. Face à de tels processus, ici rapidement résumés, la mémoire, constitue un outil et un recours particulièrement précieux. Cependant, la nature oppose à sa mise en coupe réglée des résistances insoupçonnées dont certaines catastrophes sont parfois aussi des manifestations.<em> <br />          </em>Comme a pu magnifiquement lâécrire Enzo Siciliano dans<em> Nu(e) </em>numéro 58<em>, </em>dans un tel contexte Zanzotto ne peut écrire ses<em> Géorgiques </em>mais seulement décrire un paysage saccagé, dont le nom est graphiquement barré dans le cours du recueil : &quot;<span style="text-decoration: line-through;">paysage</span>&quot;.<br /> <em>         Surimpressions</em> se présente comme une affirmation latente dâune autre attitude face à la nature et, ne serait-ce que sous cet aspect, à mettre entre toutes les mains. Le tragique que vous évoquez non sans raison appellerait des commentaires circonstanciés. Il nâest pourtant pas une fatalité. Il ne paraît au reste pas vécu comme tel, il est peut-être moins faustien que purement économique sous-tend le poète de Vénétie. <br />          La poésie aussi est une arme car la poésie tisse du lien social à travers un contenu symbolique, propose du symbolique. Reportez-vous, par exemple, au <em>Galaté au bois</em> â lâopposition nature culture dès le titre, puisque <em>Galaté</em> désigne les règles de bonnes manières&quot; en italien â  et notamment au très beau poème intitulé : &quot;(POUR QUE) (CROISSE)&quot;. Bref, pour que &quot;croisse lâobscur&quot;, autrement dit la densité du symbolique qui autorise la vie. Lâ&quot;obscur&quot;, ou symbole, montant de tous les décombres stylistiques accumulés dans toute sa fraîcheur dâinattendu.<br /> <br /> <br /> <strong><em>R.N</em></strong><em>. : La tradition chez Zanzotto doit être honorée. Pour cela, il projette un dépassement de ces traditions qui s'avèrent être une continuation par d'autres moyens de celles-ci. Pouvez-vous nous dire en quoi son vers fait vivre les grandes traditions d'Italie à travers l'invention, la création, l'invention rythmique, syntaxique et formelle ?<br /> </em><br /> <strong>Ph. D.M</strong>. : Si Zanzotto refuse lâavant-garde, il nâen refuse pas moins la tradition comme horizon indépassable répétable à lâinfini et modèle intangible, figé ! Ne nous y trompons pas. Ce double refus caractérise pour une bonne part lâoriginalité de cette Åuvre rare, en effet naturellement encyclopédique, un &quot;naturel&quot; longuement médité et travaillé, cela va sans dire. <br />          Dans lâoptique du poète, la tradition, ou plutôt, et mieux, les traditions, dont lâavant-garde désormais plus que centenaire, ne sont ni à honorer ni à dénigrer : elles sont. Chacune dâelles possède une existence et une histoire bien attestées, nul ne lâignore. Contrairement à lâhistoricisme des avant-gardes historiques (les avant-gardes du jour étant, sans même sâen rendre compte, semble-t-il, bel et bien des arrière-gardes) et à la mythologie historiciste qui la distingue (lâavant-garde croit savoir le fin mot de lâhistoire) productiviste (elle anticiperait sans comprendre quâelle anticiperait ironiquement jusquâà sa disparition pour cause dâobsolescence, obsolescence implicite dans son idéologie de<em> raison dans la littérature</em> décalquée plus ou moins consciemment-inconsciemment de la <em>raison dans lâhistoire </em>de tradition hégélienne), Zanzotto nâexalte ni un présent ni un avenir conçus comme nécessairement radieux. Il nâen exalte pas pour autant un passé éventuellement idéalisé. Il dispose dâun stock stylistique matérialisé par des traditions stylistiques contradictoires où il puise : citations et créations verbales personnelles. Sauf que chez Zanzotto, néologismes, hapax et autres mots-valises ne sâautonomisent jamais comme purs et simples procédés, ils sâavèrent toujours justifiés par un contenu mytho-poétique pertinent.<br />          Par certains côtés, il répète lâopération de tradition baudelairienne qui a su subvertir une forme fixe en la parant dâun contenu qui en démentait ironiquement la forme, celle du sonnet auparavant appréhendé comme une louange visant à certain sublime. <br />          Alors, partant de ces données, Zanzotto illustre la circulation du symbolique dâun registre stylistique à lâautre car dans lâÅuvre de la maturité, il y articulation dââges stylistiques hétérogènes par le biais de ce que jâai seulement pu qualifier de <em>signifiant fendu</em>. <br />          En ce sens, Zanzotto déploie une poésie généalogique qui reparcourt idéalement toute son histoire rien que pour la rajeunir. Une histoire transformée en espace : la diachronie de la poésie devient une synchronie : un style-styles. Un style pluriel qui établit la preuve de la circulation du symbolique à travers des registres ordinairement envisagés comme inconciliables. Opération qui trouve des équivalents dans le champ de la prose chez James Joyce, Carlo Emilio Gadda et dans celui de la poésie avec Pessoa et le Français Jude Stéfan, dont on parle malheureusement trop peu. Nâaffleurant pas directement dans le texte, un renvoi à la philosophie de Giambattista Vico me paraît sous-jacente. Autre parenté avec James Joyce dans un genre différent, par exemple.<br />          Il semblerait quâà certains moments, lorsque le poids de la tradition obère la création, une révolution de cette ampleur se fraye la voie. À cet égard, souvenons-nous de Rabelais et de son rapport à la tradition médiévale, dâune part, et aux idéaux de la Renaissance, dâautre part.     LâÅuvre de Zanzotto est ainsi de celles qui nous amènent à repenser lâhistoire de lâhistoire de la poésie et de la littérature.<br /> <br /> <em><br /> <strong>R.N</strong>. : Vous rapprochez la poésie de Zanzotto du geste de Lucrèce, pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ?<br /> </em><br /> <strong>Ph. D.M</strong>. : De relativement statique dans les premiers recueils, comme encore dans <em>Vocatif</em> (1957), par exemple dans le poème intitulé <em>Paysages premiers</em>, au point de sâassimiler au paternel-maternel, à une permanence, la conception de la nature devient chez Zanzotto dynamique dès <em>La Beauté</em> (1968). La nature se remodèle, se renouvelle sans trêve ni cesse. <em>Le Galaté au bois</em> (1978) est à cet égard particulièrement parlant dans son évocation du <em>panta rhei</em> dâHéraclite dès son poème dâouverture. La référence à Lucrèce demeure vague et purement indicative. <br />          Cependant, dans <em>Surimpressions</em> (2001), même si ce recueil-là nâest pas un décalque du <em>De rerum natura</em>, la référence à Lucrèce transparaît plus nettement lorsque pour qualifier le paysage, dans la suite de très beaux poèmes intitulée <em>Vers les paluds </em>prenant pour thème un paysage, Zanzotto évoque des &quot;dominos de mystère&quot; lorsquâil évoque sa durée : la reconduction du même par-delà la caducité de chacun des éléments qui constituent cette réalité naturelle les fait apparaître comme autant de quasi doubles, justement comme des  &quot;dominos&quot;.  Pareils &quot;dominos&quot; peuvent être sentis comme autant dâatomes lucrétiens. Des herbes, du foin par exemple. Dans son langage poétique de lâ&quot;homo&quot; comme de lâ&quot;humus&quot;. <br />          Le temps ressenti et pensé par les humains nây coïncide plus avec le temps de la nature. Lâun est linéaire, lâautre circulaire. Si les brins dâherbe nous apparaissent interchangeables, notre conscience peine à nous persuader de notre interchangeabilité avec lâun de nos semblables. Parmi dâautres, reportez-vous au poème intitulé <em>À Faèn </em>dans <em>Surimpressions</em>.<br /> <br /> <br /> <strong><em>R.N</em></strong><em>. : L'espace-temps créé par Zanzotto semble supprimer le temps, et pourtant la précision des faits rapportés ne se dément jamais. Pouvez-vous nous expliquer ce paradoxe ?<br /> </em><br /> <strong>Ph. D.M</strong>. : Zanzotto ne me semble pas &quot;supprimer le temps&quot;, qui le pourrait ? Mais vous évoquiez bien sûr son attitude stylistique de la maturité, à compter de <em>La Beauté </em>(1968, traduction française, Maurice Nadeau, 2000), le poète met en évidence la circulation du symbolique dâun registre stylistique à lâautre, dâun âge stylistique à lâautre. Par exemple, dâun énoncé archaïsant à un énoncé moderniste ou emprunté à lâoralité du jour. Zanzotto décloisonne, déhiérarchise les âges rhétoriques et atteste de leur complicité discursive foncière par-delà toute prétendue clôture. Il sâagit dâun phénomène stylistique plutôt que temporel, à strictement parler. En ce sens, il y a non pas suppression mais mise en évidence dâune transhistoricité, ou plutôt anhistoricité, du symbolique. Celui-ci ne se laisse pas borner par des délimitations stylistiques univoques. Il circule à travers les âges stylistiques. Câest si vrai que Zanzotto a pu reprendre avec un effet dâauthenticité certain, les <em>Ubi sunt</em> des latins (déjà mis à contribution par François Villon dans <em>La ballade des dames du temps jadis),</em> ou <em>Soir du jour</em> de fête de Leopardi, comme <em>incipit</em> de toute une série de très beaux poèmes de la section intitulée <em>Aller coudre</em> et <em>Soirs du jour de fête</em> (passé au pluriel) respectivement dans <em>Idiome</em> (J. Corti, 2006) et <em>Surimpressions</em> (Maurice Nadeau, 2017). Mais aussi, dans <em>Phosphènes </em>(José Corti, 2010) avec <em>Alba pratalia</em>, composé à partir de la <em>Cantilène véronaise</em>, lâun des premiers poèmes écrits en italien (IXè s.). Les traditions constituent simplement une foison de matériaux disponibles susceptibles dâêtre utilisés, ou réutilisés après avoir été décontextualisés. Un registre, ou clavier qui, adroitement utilisé, se révèle extrêmement fertile. Il y a alors <em>surimpression</em> de lâhier et de lâaujourdâhui. Une densité certaine en émane. Il y a synthèse. Sur le modèle poétique de tradition dantesque tel quâil est exposé dans <em>De vulgari eloquentia</em> : &quot;extirpation&quot; et &quot;greffe&quot; de langages différents les uns aux autres. <br /> <br /> <br /> <strong><em>R.N</em></strong><em>. : Vous avez pu rencontrer à plusieurs reprises Zanzotto. De quel abord était l'homme-poète ? Reste-t-il des essais de lui à traduire puisqu'il est un critique aussi lucide, original et fécond que le poète.<br /> </em><br /> <strong>Ph. D.M</strong>. : Oui, Andrea Zanzotto mâa reçu à plusieurs reprises chez lui mais davantage, encore, nous nous sommes beaucoup téléphoné. Ce qui frappait dâemblée chez lui, câest la simplicité, une simplicité naturelle nullement affectée. Il voulait être de plain-pied avec son interlocuteur car il éprouvait le besoin dâéchanger, de parler. Son ton était tout aussi naturellement amical. Mais toute exubérance, tout excès verbal lui étaient étrangers. Il avait en outre assez souvent un regard ironique, presque comique, sur lui-même. Qui lui aussi rendait un son juste. Il avait lâart du mot juste. Il recherchait lâauthenticité du rapport humain. Il nâaimait pas quâon le mette sur un piédestal qui eût pu lâisoler de ses semblables. Il était curieux de tout comme en témoigne son langage poétique qui inclut des métaphores empruntées à de nombreuses sciences. Il ne posait pas au poète ou à lâhomme de lettres. Il suivait lâactualité de près, scientifique incluse, souvent atterré par les événements quâelle offrait. Dans le même temps, sous tant de savoir une existentielle insécurité perçait sur le mode de lâanxiété contre laquelle lutter. Ainsi, tout symboliquement, lorsque je lui rendais visite, lâaprès déjeuner consistait invariablement, par une promenade nous conduisant de tours en détours à la pharmacie de son bourg afin de voir de quel côté tournerait le vent, si jâose, dire, car il sâagissait de lire ce quâannonçait le baromètre de sa devanture. Zanzotto nâa pas écrit un recueil intitulé <em>Météo </em>(Maurice Nadeau 2002) pour rien, qui prend pour thèmes les variations colorées du paysage plus que celles du ciel. Pénétré quâil était de lâinstabilité du tout cosmique. Conscience pascalienne formulée à maintes reprises, dâun moi en proie au vertige de la ronde des planètes. Il y avait chez lui, on ne le soulignera jamais assez, le rêve dâune autre histoire, possible mais malheureusement non advenue.<br />          Comme vous le soulignez, il reste de nombreux essais à traduire. Lâéditeur José Corti a publié tout de même 315 p. dâ<em>Essais critiques</em> (2006). Utiles non seulement à ceux qui cherchent des outils pour lire les grands auteurs italiens comme Ungaretti, Montale, Leopardi, Manzoni mais, également, Michaux, Pessoa, Stevenson, Leiris et tant dâautres. Attestant eux aussi de la culture encyclopédique et de points de vue extrêmement originaux du Zanzotto critique. Lâun des plus pénétrants de son temps. Cet aspect du travail de Zanzotto est à marquer dâune pierre blanche, tant son Åuvre critique a suscité lâadmiration par son originalité et les points de vue développés. Je renverrai le lecteur intéressé au bel essai que Pietro Benzoni, publié dans la revue <em>Nu(e)</em> numéro 58 consacré à la reconnaissance critique de lâÅuvre de Zanzotto, a dédié à cette partie si féconde de lâÅuvre. <br />          Mais il faut également rappeler le nouvelliste avec <em>Au-delà de la brûlante chaleur</em> (Maurice Nadeau, 1997), un nouvelliste lui aussi thématiquement et stylistiquement original campant souvent ses récits à la confluence du réel et du fantastique non sans rehauts &quot;tauromachiques&quot;, dans le langage de Leiris, dont Zanzotto fut le traducteur italien. Le critique italien Luigi Baldacci a dit combien cette Åuvre en prose était originale et combien elle ne sâapparente à aucune autre. Notamment pour tout ce qui a trait aux écrits en prose plus particulièrement peu ou prou autobiographiques. Acérés comme le fil dâun outil tranchant.<br /> <br /> ©Philippe di Meo, René Noël, <em>Poezibao</em> - juin 2017<br /> <br /> <br /> 1. <em>Monolinguisme</em> : terme de la critique italienne pour désigner un langage poétique fondé sur un petit nombre de figures et un lexique épuré  infiniment combinables et largement soustrait à lâhistoire dont Pétrarque est lâéponyme ; <em>plurilinguisme</em> : encyclopédisme langagier dont lâéponyme est Dante.<br /><br /> <span class="asset asset-generic at-xid-6a00d8345238fe69e201bb09a56b2a970d img-responsive"><a href="http://poezibao.type...de-zanzotto.pdf" rel="noopener" target="_blank">fichier PDF de cet entretien, à enregistrer ou imprimer, et à ouvrir d'un simple clic sur ce lien</a></span><br /> </span></p>
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