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Cravan contre dada


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1 réponse à ce sujet

#1 Vivien

Vivien

    Tlpsien +++

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Posté 02 février 2008 - 03:09

On associe d'ordinaire le nom de Cravan au dadaïsme. S'il a pu s'intéresser au futurisme, Cravan n'a jamais participé à Dada. Rappelons que le manifeste du mouvement fut lancé par Tristan Tzara au cabaret Voltaire à Zurich le 8 février 1916. A cette date, Cravan avait déjà donné ses conférences scandaleuses, publié sa revue et, déserteur aux semelles de vent, se trouvait à Barcelone, organisant sa rencontre avec Jack Johnson, le champion du monde poids lourds.


Prudemment, Dada se réclame de Cravan après sa mort. Picabia glisse quelques "à la manière de" dans la revue "391". Huelsenbeck prend l'habitude de tirer des coups de revolver à blanc durant ses conférences.


Cravan précède donc Dada. Quand Tristan Tzara déclare que "l'art n'est pas sérieux", on croit entendre l'écho de Cravan s'écriant: " L'Art, l'Art, ce que je m'en fiche de l'Art! "; et quand il affirme que Dada "c'est tout de même de la merde, mais nous voulons désormais chier en couleurs", il reprend l'image du poète qui, selon Cravan, se doit de "chier comme un hippopotame."


Puis viennent André Breton (que Rigaut accusait d'avoir assassiné Dada) et les surréalistes qui, à leur tour, revendiquent Cravan comme un précurseur. Ses "notes" leur semblent annoncer l'écriture automatique. Breton voit en lui un exemple de "génie brut".


La grande différence entre les Dadaïstes (ou les Surréalistes) et Cravan est que lorsque les premiers veulent "donner une importance égale à chaque objet, être, matériau, organisme de l'univers.", Cravan proclame: "Je suis toutes les choses, tous les hommes et tous les animaux!".


En d'autres termes, si Dada souvent en reste au stade des moustaches dessinées sur le portrait de la Joconde ou des urinoirs montés sur un socle, quelque part entre la provocation puérile et inoffensive et le coup de publicité bien comprise, Cravan met sa peau au bout de ses idées. En lui la poésie se fait chair. Il l'incarne et n'a plus le temps ni le loisir de l'écrire. Courant le monde, poursuivi par la guerre et la mort, doit boxer ou voler pour vivre, connaît la misère à New York et au Mexique.


Il pousse la provocation jusqu'à mourir, imprudence qu'éviteront dadaïstes et surréalistes. lorsque André Breton rêve d'un homme qui descend dans la rue et tire des coups de revolver dans la foule, il se garde de passer à l'acte. Cravan se rêve boxeur et il affronte Jack Johnson à Barcelone, se rêve déserteur et fuit jusqu'au Mexique. Cravan joue peut-être, mais joue comme un enfant pour qui le jeu, tant qu'il dure, existe bien mieux que la réalité.


A New York, Duchamp et Picabia comprennent le parti que l'on peut tirer d'un tel énergumène. Lorsqu'ils ont besoin d'un joli scandale pour animer l'exposition des Artistes Indépendants, en 1917, ils pensent immédiatement à Cravan. L'homme est dans la dèche, sans papiers, et ne recule devant rien. Duchamp, le fils de notaire, n'est pas homme à s'exposer inutilement. Il préfère s'abriter derrière la grande carcasse d'Arthur Cravan.


D'autant que Duchamp n'éprouve guère de sympathie pour le poète-pugiliste.. "C'était un drôle de type. Je ne l'aimais pas beaucoup, lui non plus d'ailleurs.", déclare-t-il dans "Ingénieur du temps perdu". A José Pierre, il précise: "Cravan n'était pas mon ami."


Il faut dire que lorsque Cravan déboule parmi le petit cercle des artistes réfugiés aux Etats Unis, il sème la perturbation. Sans le sou, il vit dans la rue ou séjourne dans l'appartement de l'un ou de l'autre. Les Picabia lui trouvent un petit boulot de traducteur mais l'accablent de recommandations: qu'il n'aille pas surtout voler l'argenterie, se saouler ou mal se conduire avec les dames. Cravan les amuse mais, non, il n'est pas de leur monde.


De même qu'en France les généraux expédient au casse-pipe des soldats qu'on bourre de gnôle et d'éther pour les encourager à sortir de la tranchée, de même Duchamp et Picabia saoulent Cravan, mercenaire de Dada, avant de l'envoyer monter à l'assaut de l'estrade de la Grand Central Gallery.


Le succès dépasse leurs plus grandes espérances. Cravan, tombé amoureux d'un tableau représentant une femme nue, commence à se déshabiller. La police intervient et arrête le conférencier avant qu'il n'aille plus loin.


Duchamp et Picabia sont ravis: avant-gardistes encartés, ils se sont joués à la fois des pharisiens new-yorkais et de cette grande brute de boxeur qui se prétend poète et avait eu l'audace d'éreinter quelques uns de leurs amis dans le quatrième numéro de sa revue. Non, décidément, Marcel Duchamp n'aime pas Arthur Cravan.


Gabrielle Buffet Picabia se souvient de la soirée donnée pour fêter le succès de l'affaire: " - "Quelle belle conférence", disait Marcel Duchamp quand nous nous retrouvâmes tous le soir chez Arensberg! Cravan, qui n'était pas encore tout à fait dégrisé, restait dans son coin, sombre et distant, et se refusa à parler à quiconque de son exploit qui ne devait pas rendre sa situation à New York plus facile." ("Aires abstraites")


C'est peu dire. Cravan n'a ni argent, ni papiers. Et les Etats-Unis viennent d'entrer en guerre aux côtés de la France et de la Grande-Bretagne. Le moment est mal choisi pour faire la une des journaux.


Cravan regrettait que le choléra n'emporte pas les poètes à l'âge de trente ans, leur épargnant ainsi une vie mesquine. Par refus de se prendre au sérieux, il repousse son rendez-vous avec la mort jusqu'à 31 ans. D'autres n'ont pas cette chance. Picabia meurt en 1953, à 74 ans; Duchamp en 1968, à 81 ans, frêles cadavres écrasés sous les honneurs, les expositions et les commémorations.


Essayer d'enfermer l'homme au mille âmes, à la funeste pluralité, dans le cadre mesquin d'une école, d'un mouvement, est impossible. "Je suis le prophète d'une nouvelle vie et moi seul je vis", écrit-il. Cravan ne cherche ni à poursuivre l'art de son époque, ni à rompre avec lui. Il explore une voie nouvelle, personnelle. Avant tout, il vit.

(http://www.excentriq...oesie-dada.html)


#2 Baptiste

Baptiste

    Baptiste

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Posté 02 février 2008 - 08:30

Duchamp, le fils de notaire,


Haha !