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(Note de lecture) Le travail de la viande, de Liliane Giraudon, par Anne Malaprade


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Posté 18 décembre 2019 - 09:33

<p class="MsoNormal blockquote" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif';"><br /><a class="asset-img-link" href="https://poezibao.typ...3a91c200d-popup" onclick="window.open( this.href, '_blank', 'width=640,height=480,scrollbars=no,resizable=no,toolbar=no,directories=no,location=no,menubar=no,status=no,left=0,top=0' ); return false" style="float: left;"><img alt="Liliane Giraudon le travail de la viande" class="asset asset-image at-xid-6a00d8345238fe69e20240a4d3a91c200d img-responsive" src="https://poezibao.typepad.com/.a/6a00d8345238fe69e20240a4d3a91c200d-100wi" style="width: 100px; margin: 3px 15px 5px 5px; border: 1px solid #969696; box-shadow: 8px 8px 12px #aaa;" title="Liliane Giraudon le travail de la viande" /></a>Abattoir, laboratoire ? Cette composition fait travailler les genres, interroge les transgenres, elle va et vient, vole et pille, restitue et transmet, copie et recopie, elle donne, elle donne tant à partir de carcasses multiples : aux héros tragiques (« Oreste pesticide », « la fille aux mains coupées »), aux écrivains (Reverdy, Bessette), aux artistes (Marc-Antoine Serra, Harun Farocki), aux anonymes, aux oubliés, aux lecteurs (Paul Otchakovsy-Laurens), aux fils et aux filles, à tous les morts, à tous les vivants (Walter Benjamin, ce vivant dâentre les morts), aux coupables et aux victimes, aux antisémites (Coco Chanel), aux paysages urbains (Marseille). Il y est question de sexualité, dâidentité, de travestissements de toutes sortes réservés aussi bien à la prose quâau vers, à la femme quâà lâhomme, au poète quâau metteur en scène, à la romancière quâau photographe, à la scénographe quâà la fugueuse, à la mère quâà lâamante. Quelquâun découpe quelque chose, ou quelque chose découpe quelquâun. Trancher ou être tranché, là est la question. Cela pourrait être une définition de lâart. Liliane Giraudon cuisine la pensée dans le texte, le texte dans la pensée, le fond fait saigner la forme, la forme se métamorphose mais jamais ne disparaît. Quelque chose naît par découpes, et le lecteur est témoin dâune venue au monde quâaucune censure, quâaucune violence, quâaucune répression ne parvient à étouffer. <br /><br />Les corps sont coupés, les vies sont arrêtées, les cÅurs se figent, la chair refroidit. Sexes, mains, organes disparaissent du réel et réapparaissent dans les fantasmes, les rêves et les cauchemars, les lapsus et les actes manqués. Textes troués, phrases jetées, dés et osselets lancés, scénarii explorés. Blancs, vides, espaces, pauses ; démontage puis remontage ; arrêts, stases, accélérations, suspensions. « Je recopie puis je défais. Comme je le vois faire avec de vieux tricots de laine. » Les récits peuvent être tronqués, les dialogues ne conduisent à aucun dénouement ni solution â et pourtant que de nÅuds, de crises, dâassauts, dâexplorations ! Lâunité artistique nâest plus possible, mais Liliane Giraudon invente, autrement, des manières de dire le monde et dâexplorer la vie : « Câétait comme si je cherchais une voix dans mon cÅur ». Le rouge du sang, de la vie, de la perte de la virginité, des menstrues, des blessures, des coupures, des castrations, des viandes animales et humaines colore les pages dâun livre qui interroge les artistes et les légendes, les artistes et leurs légendes, les légendes sans les artistes. Le noir des ténèbres. Et la transparence de la légèreté, quand elle se fait insolence.<br /><br />On peut donc ici goûter au travail de la langue dans des dispositifs très différents et souvent fracturés : conte, poème mouvementé choisi par le hasard, tableau théâtral, récit, poème versifié, fragment autobiographique. Goûter, ça veut dire voir, lire, regarder, observer, entendre, imaginer, ingérer. Dans cette viande tous les sens sont convoqués, suscités et ressuscités. Ils sont invités à correspondre dans le sang (câest chaud câest rouge ça sent et câest déjà de lâencre*). Lire câest toucher. Toucher le livre, câest aussi être lu, dévoilé déviandé décharné. « Quand écrire câest supprimer celui ou celle quâon est. Ou croit être ». La lecture conduit à une mise à nu semblable qui « laisse passer autre chose ».<br /><br />Câest dit, câest ça, câest exactement ça. La langue est plus chaude que la viande, et elle nous fait avancer entre deux mondes pour nous permettre dây voir plus clair dans ce monde-ci. « Les poèmes foutaient du bruit dans la musique, rendaient la musique au bruit. /Défaisaient la langue dans la bouche. /Rendaient lâeau dans le fossé plus eau, les herbes plus herbes. » Et je me demande, pauvre lectrice, si mes mains abîmées ne doivent pas beaucoup à celles de la fille aux mains coupées dont lâhistoire me hante depuis que je lâai croisée. « Et maintenant/Dans le silence arrêté du temps/Je tâécris ». Et maintenant, dans lâéternité de lâinstant, nous vous lisons, chère Liliane Giraudon, et tout recommence, parce quâil suffit dâun livre pour que lâinvisible prenne forme, et que de nouveau ça saigne, ça pulse, ça travaille avec audace le corps et la langue dans toutes leurs matières et de toutes les manières. <br /><br /><strong>Anne Malaprade<br /></strong><br />Liliane Giraudon, <em>le travail de la viande</em>, POL, 2019, </span><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif';">154 p., </span><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif';">16â¬<br />Lire ces <a href="https://poezibao.typepad.com/poezibao/2019/12/anthologie-permanente-liliane-giraudon-le-travail-de-la-viande.html" rel="noopener" target="_blank">extraits du livre</a> publiés dans lâanthologie permanente du site. <br /><br /><span style="font-size: 10pt;">*On pense au tableau de Caravage <em>La Décollation de saint Jean-Baptiste</em> qui se trouve à la cathédrale Saint-Jean de La Valette : la signature du peintre est tracée dans le sang de la victime.</span><br /><br /><br /></span></p><img src="http://feeds.feedburner.com/~r/typepad/KEpI/~4/e5RZmD2OWvs" height="1" width="1" alt=""/>

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