Brèves de comptoir
Allez viens mon gars !
Viens, c’est pour moi !
J’te paye ton verre de blanc
Et tu m’racontes tes tourments.
On le savait déjà tous, mon gars,
Que cette nana, cette nana là ,
Elle ne tournait pas rond,
La moitié de la cervelle d’un moineau,
Et encore ! La moitié, je suis trop bon !
Un quart c’est déjà presque trop !
Elle était chamboulée, déboulonnée !
Aller se fiche par la fenêtre, quelle idée !
Tout le village le disait, ça parle les gens, tu sais,
Et tout le monde le disait, qu’elle était siphonnée.
T’aurai pas dû lui passer la bague au doigt,
Parce que toi, t’es un bon gars,
Tu viens d’ici et t’as la tête sur les épaules,
Mais l’a fallu que t’aille prendre la gaule
Où l’aurait pas fallu …
T’en trouveras une autre, plus du crû !
Elle n’était pas normale cette petite dame,
A pleurer sans arrêt pour rien,
A rêver des fantômes et à faire des drames !
T’en fais pas, le blanc c’est bien pour le chagrin !
D’ailleurs, l’aurait pt’ être fallu lui dire à la donzelle,
Le vin ça lui aurait fait chanter des ritournelles,
Elle serait pt’ être pas en train de causer aux vers !
Du moins à d’autres verres !
Pis, t’en fais pas, t’en trouveras une belle,
Une bien brave qui bronche pas,
Qui écarte les jambes et les bras,
Qui t’attends et prie le ciel
Pour que te lui colles des marmots,
Une femme quoi ! Sans histoire, mon beau !
Parce qu’ici, on le savait qu’il lui en manquait une,
De case, et pas des moindres en plus !
Une femme, moi j’te l’dis, ca n’a pas les humeurs d’une puce,
Qui sautent et sautent ! Allez, sans rancune !
J’te repaye un verre, mon vieux !
T’es veuf, c’est une gloire ça !
Tu vas voir les jolis minois
Attirés par le vide au coin du feu !
La guerre des corsages,
Pour te faire oublier l’autre folle,
T’en as de la chance, elles sont frivoles !
T’auras pas des nuits très sages !!!
Enfin, fais gaffe quand même !
Les femmes d’aujourd’hui …
Elles ont pas tout compris,
Parait qu’il faut qu’on les aime !
Crois en ma longue expérience,
Prends en une sans prétention,
Qui n’a pas trop de science,
Et qui s’occupe de la maison.
Parce que les dames, mon cher,
Quand elles s’agitent les méninges trop souvent
Ca fait de sacrés flammes ! Les flammes de l’enfer !
Et nous, direct au casse-pipe, bon sang !
Avant elles nous foutaient la paix, au moins,
Y avait les enfants et le ménage,
Pour toutes celles du village,
Maintenant elles veulent aller au turbin !
Alors, comme, elles sont compliquées,
Elles râlent parce qu’elles ont trop à bosser,
Et nous faudrait qu’on les soutienne !
Jeunes dingues ! Allez, mon gars, Ã la tienne !
J’te jure, le monde il tourne à l’envers !
Presque autant que ta femme, qui s’est foutue à l’eau !
Sérieusement on va tous y laisser notre peau,
Les choses ça doit rouler à la mode de nos pères !
Encore un dernier pour la route ?
Allez, c’est moi qui paye, et la route…
Tu sais quoi ? Elle est longue, c’te farce !
Longue, et pas franche, la garce !
En fait, on s’emberlificote la vie !
Seuls, moi j’te le dis,
C’est ça la solution !
Seuls et plus de trublions !
Regarde, la vieille Gertrude,
La bonne de monsieur le curé,
Tellement prude,
Qu’elle n’a jamais couché
Qu’avec ses foutus chats !
Bah, même eux ! Ingrats !
Sa chatte préférée,
Est allée se faire voire,
Les matous, ils l’ont visitée
Et maintenant c’est la foire !
Des minous partout !
Et ç a pue, et ça miaule !
Yen a plein la piaule !
Et Gertrude, elle a plus le sou
Pour nourrir ses bestioles !
Vieille folle !
S’est trop enquiquinée, la bonne du curé !
L’aurait mieux fait de se faire culbuter
Par le Saint Esprit, pardi !
Ton verre ? T’as pas fini ?
Regarde, le vieux Maurice,
Il est seul, et il boit autant qu’il pisse,
Mais il ne s’enquiquine pas la vie !
Au café du village, accoudé au comptoir,
Du matin jusqu’au soir,
Il boit son blanc, et c’est bien ainsi !
Seul, avec son verre : pas de trahison.
Et il tient des belles discutions
Avec les jeunes du coin,
En s’enquillant son blanc avec soin.
Tu vois ! Bois ton coup,
Et fais comme le vieux Maurice,
Qu’en a vu passer des avarices !
La vie, elle est filou !
Seul, au comptoir avec ton verre plein,
La vie, tu la vois venir de loin,
Tu lui payes l’apéro, à la bonne heure,
Tu l’entourloupes en fin connaisseur,
Et elle te laisse bien pénard !
Seul, avec ton blanc au comptoir,
V’là c’qu’il faut faire, imbécile,
Pour avoir une vie tranquille !