il me faudrait avoir un ou plusieurs avis sur un début de texte que j'élabore et qui pourra, ou non, être continué, remodelé voire même détruit

Dites moi ce que vous en pensez tout à fait sincèrement, je vous en remercierai beaucoup.
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(Il y aurait, pour le moment, cinq "actes" Ã ce texte)
I
J’allais percer le voile épais, lourd et trop opaque qui, comme ces merveilleux nuages qui nous font deviner une forteresse de coton pour mieux crever par la suite en une pluie grossière, me cachait d’une réalité que je m’imaginais immonde, tout en m’en protégeant. Il me fallait chanter pour cela, un chant pénétrant aux mille variations qui n’aboutissaient pas à un tout chaotique mais qui, au contraire, engendraient tout un monde nu et dépouillé, mais vrai ; un monde que seul le chant pouvait élever à la hauteur des yeux de l’âme humaine. Un monde laid, fangeux et grotesque, composé de splendeurs, d’azurs et de merveilles. Aussi je m’essayais à la création d’une symphonie où les voix, si insignifiantes prises chacune d’entre elles à part, comme un homme ne peut pas être compris hors des cours de son Temps et de son Histoire, formaient une ligne unie et circulaire où l’on pouvait saisir l’ensemble dans un infime instant, comme l’on opère la plongée passive, délicieuse et instantanée dans le Dies Irae dès les premiers éclats tonitruants et majestueux qu’un homme, sachant, dans ses œuvres, mêler à la perfection les modes mineurs et majeurs (seules preuves qui, pour moi, à travers les différentes sensations, si pleines et si réelles, que ces deux modes me procuraient, suscitaient l’idée d’un Dieu), avait fait naître, impuissant et libre.
Ce que j’entreprenais était devenu nécessaire pour moi, non pas tant, je le crois, à cause d’une névrose enfouie depuis les paisibles années de mon enfance dont les souvenirs ne cessaient de me hanter, non, mais plutôt à cause d’un fardeau que je devais jeter à terre, ou à la face du monde, un fardeau que les hommes futurs pourront regarder comme un miroir qui permettrait de voir clair à travers l’océan où dorment des trésors comme des épaves, à travers l’océan qu’ils sont eux-mêmes. Cette nécessité était accrue par les détestables épreuves physiques auxquelles j’étais confronté et qui prenaient successivement diverses formes, toutes plus handicapantes les unes que les autres, allant des étouffements aux maux de tête ininterrompus tout en passant par des douleurs pectorales qui me faisaient imaginer le Pire, un monstre affamé qui engloutirait jusqu’à mes souvenirs et mon œuvre. Mais il en va de la mort comme des croyances métaphysiques ; la raison, semble-t-il, ne saurait en rien influencer le sentiment si variable qu’elle procure à nous vivants, et quand à un moment elle saisit notre vie et nous immerge dans les plus laides réflexions, à un autre elle semble absente et sa venue, imminente ou très lointaine, en emportant tout, nous importe peu. Faire ressortir le peu de vie que j’avais en moi, voilà la tâche que je m’imposais, quitte à m’anéantir ensuite, si j’avais eu le temps de créer.
II
Je me mis au travail pendant l’hiver, un bel hiver froid et bleu qui donnait un avant goût du printemps avec ses crocus aux couleurs pâles et blancs de givre, émergeant d’une terre froide, nourricière et maternelle que les gazouillements et les crépitements des rayons du soleil peinaient à réchauffer. Rien ne pouvait me dire de commencer à ce moment-ci plutôt qu’à un autre, si ce n’est la reprise en force des étouffements qui me rendaient comme un prisonnier de guerre quelques heures avant le vociférant « Feu ! » aussi fraternel que fratricide, suppliant un Dieu intérieur et sourd et griffonnant les derniers mots que sa colère, sa lâcheté ou son courage lui dictait. Je m’isolai, pris mes instruments et esquissai sans plans précis une œuvre que je ne voulais non pas pour ma gloire, ni pour de quelconques intérêts, je le pense avec franchise, mais pour moi, pour mon salut face aux hommes et pour chacun d’eutre eux. Si je pouvais alors ajouter quelque beauté à ce monde, je n’en aurais jamais privé les autres ; car j’étais persuadé que seule la beauté, la vraie, la sincère, celle devant laquelle tout homme est réduit à sa plus simple et authentique nature, pouvait rendre les hommes un peu moins méchants qu’ils ne l’étaient. Mon travail prit une forme féminine et, semblable au roi de Chypre, mon esprit infirme ou la nature plus puissante me rendit presque tangible ce que je créais. Les perceptions sine materia ne peuvent offrir de matières plus douces et plus réelles à notre âme. Sans règle aucune, je traçais, je retouchais, je bouleversais sans cesse l’édifice ; je le polissais et le repolissais sans ne jamais me reposer, repos vain et fade. La tristesse m’accompagnait, droite, profonde et digne, pendant mon labeur. Il me semble qu’elle seule est capable, parmi toute autre émotion, de nous faire sentir la réalité des choses dans leur beauté intacte, seule elle peut nous révéler à nous-même, seule elle nous permet de gravir la pente que rend harassante une lumière vraie et aveuglante ou de percer le voile, seule elle nous fait toucher à la plénitude d’un monde et d’un moi desquels le Bonheur, démon de la niaiserie, nous divertit.